Le plus petit baiser jamais recensé

Je tentais d'en photographier la sensation avec des mots

— Le souvenir de ce baiser est aussi intact que si j’étais en train de le vivre. Comme s'il se régénérait à chaque seconde.
— C'est parce que vous y pensez tout le temps, vous l'entretenez.

Le ciel explose en sanglots de pluie contre la vitre [...] les étoiles fondent à travers le pare-brise, la lumière de la lune coule au plus profond du bitume [...] le taxi glisse plus qu’il ne roule, je ne perçois plus le moindre bruit.

Le souvenir d'une fille invisible, c'est fragile. Cela demande de l'entretien. Ecrire à son propos était une bonne façon de l'alimenter. Je m'y appliquais avec frénésie. A défaut de lui parler, je parlais d'elle. Je ramassais les miettes du goût si particulier qu'elle avait laissé sur mes lèvres avant de disparaître. Ses seins aussi avaient laissé une empreinte extraordinairement précise sur mon torse. Je tentais d'en photographier la sensation avec des mots.

Le cœur de cette fille invisible était un putain de Rubik's Cube! J'avais beau le retourner dans tous les sens, je ne parvenais pas à réunir les pastilles de couleurs identiques sur une même face.

Le lendemain, je racontai ce qui m'était non-arrivé à Louisa. Elle me demanda s'il me restait des baisers. Je ne sus quoi lui répondre.
- Des chocolats, je veux dire.
- Gaspard Neige les a tous mangés.
- Pfff...fit-elle en levant les yeux au ciel.
- Et je n'ai pas très envie de faire de nouveaux baisers pour l'instant.
- Oh, ça reviendra, dit-elle avec une tendresse pleine de sincérité.

Le plus petit baiser jamais recensé. Un millième de seconde, pulpe et duvet compris. A peine une effleure, un origami. Une esquisse de court-circuit. Un taux d'humidité incroyablement proche de zéro, quelque chose de l'ordre de la poussière d'ombre. Le plus petit baiser jamais recensé.

-Tu n'es pas obligé de ne plus avoir peur. Il te faut juste accepter de vivre avec tes angoisses et les siennes. Ne pas les ignorer sans pour autant te focaliser dessus. On en est tous là, me semble-t-il. Et je crois bien que c'est le plus joli problème du monde.

p. 66: "Arrivé un peu en avance je me mis à répéter mes effets de feu d'artifice et d'oiseau parleur. Des badauds s'arrêtaient, croyant que j'allais donner un spectacle de rue. Elvis était intenable, il déclenchait ses simulations orgasmiques à l'approche de la moindre crinière brune à boucles souples. Un gamin essayait de manger ma veste en ourson guimauve lorsqu'une mélodie de poumons asthmatiques en ré mineur se fraya un chemin dans le silence entre un klaxon et un bruit de moteur. Le perroquet récita: "Sparadramour", et quelques hoquets plus tard, un fragment de lumière rougeoyante se mit à scintiller à 1 m 57 au-dessus deu bitume. Deux petits radiateurs vivants se blotirent entre mes omoplates."

je me contente de goûter à quelques friandises de temps à autre,mais je respecte les doses d'amour homéopathiques que je me suis fixées