Ils restent quelques minutes suspendus dans le temps et l’espace à se pénétrer de toute l’éternité de cette violence. Sous eux la colère millénaire de l’océan, et derrière eux la rage éternelle des entrailles de la Terre.
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Et soudain, au détour d’un virage, un mur de lave. Une longue langue de roche noire et tourmentée que vents et pluies n’ont pas eu le temps d’émousser. Une muraille haute de plusieurs mètres, vierge de toute végétation, vestige d’une ultime fusion.
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Les marins n’aiment pas la mer. Ils aiment naviguer, mais ils n’aiment pas la mer. Pour quelques mers d’huile dociles, combien de houles fourbes, de grains, de tempêtes et de vagues scélérates. La mer est une maîtresse trompeuse qui prend les hommes et les bateaux par le ventre – et les engloutit. Les autres marins du monde disent que le vent sème la tempête, mais les Islandais le savent : c’est du gouffre de la mer que surgit la tempête. De ses entrailles. Du fond vengeur que leurs chaluts raclent et pillent. Les tempêtes sont des vengeances. Des sursauts de bête qu’on assassine.
(page 27)
Des laves brunes, tapissées de mousses fluo, où paissent des moutons éparpillés, la toison gonflée par le vent du large. Des lacs argentés, miroirs passagers de leur approche, entre les cônes biseautés des volcans. Des maisons éparses, propres et peintes comme des jouets, rouges souvent, bleues quelquefois, sans jamais personne devant. Et peut-être même qu’au loin se devinent aussi les panaches des grandes solfatares de Gunnuhver au bord de l’océan, ou le reflet mat des glaciers des hautes terres.
(page 15)
Il a vu les corbeaux et la lueur de l’incendie qui monte de la crique. Il a sauté de son pick-up arrêté n’importe comment devant la maison, moteur en marche et grands phares allumés, et court jusqu’au bord de la falaise constater la catastrophe. C’est à ce moment qu’elle prend sa décision. Elle ouvre la porte sans bruit, sort dans la nuit derrière lui, les mains crispées sur la gaffe, et avance en silence parmi les oiseaux de malheur qui croassent à voix basse. Mais elle oublie les phares. Quand elle passe dans la lumière, son ombre danse sur le dos de l’homme qui se retourne.
Te voilà dans un pays où les routes contournent certains rochers parce que les elfes du Peuple Caché y vivent peut-être et où on découvre encore de nouvelles cascades, et dans le même temps on y chasse la baleine avec des harpons explosifs dont la charge perce l’animal pour y enfoncer un tripode qui se déploie dans son corps et le ferre à mort. Comme quoi on peut aimer quelque chose d’odieux et de généreux à la fois.
Dans le halo de la lumière de cette journée magnifique, pendant que tout le monde pique-nique, nue devant la fenêtre de sa cuisine, elle prépare le café. Il se dit qu’elle a le corps des femmes heureuses, sans vraiment comprendre ce que cela veut dire.»
Ida est une femme à l’aise dans sa vie, et il est heureux d’en faire partie, d’une certaine façon
Ce goût des Islandais pour les refuges enterrés. Les maisons de tourbe. Les bains chauds dans les grottes. Le peuple invisible dans les rochers. Ce besoin d’appartenir au minéral quand les océans grondent tout autour. C’est aussi pour ça que Kornélius est bien chez Ida. Parce qu’elle est bien chez elle. Et bien dans son corps, dont il admire la nudité depuis le lit où ils viennent de faire l’amour.
La maison d’Ida a un étage, mais elle vit au rez-de-chaussée, dans un demi-sous-sol qui est là aménagé en studio. Ça lui suffit. Elle loue le reste.