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Critique de migdal


Dans un article du 23 janvier 2007 intitulé « Qui a tué Hrant Dink ?», le Monde diplomatique dressait cet état des lieux qui se voulait alarmiste : « Au cours de ces quinze dernières années, dix-huit autres journalistes ont été assassinés en Turquie, et douze sont actuellement emprisonnés.

« Douze ! Une bagatelle vue de 2017. Les chiffres du jour donnent cent quarante-six journalistes derrière les barreaux, et le nombre d'assassinats et de «suicides» en prison reste l'angle mort de tous les rapports. » s'insurge Valérie Manteau dans ce roman, prix Renaudot 2018, où elle parcourt Istanbul sur les traces de Hrant Dink, fondateur du journal AGOS (Le Sillon), assassiné par Ogün Samast, agé de 17 ans, dans le quartier d'Osmanbey, devant les locaux de son journal bilingue arménien-turc.

« Le Sillon comme dans la Marseillaise ? Qu'un sang impur abreuve nos sillons, quelle ironie, pour quelqu'un assassiné par un nationaliste. »

En 2011, Ogün Samast (mineur au moment des faits) est condamné à 23 ans de prison. En 2021, un tribunal d'Istanbul condamne à la prison à vie pour leur implication dans ce meurtre Ali Fuat Yilmazer et Ramazan Akyürek, ex-chefs de la police, ainsi que Yavuz Karakaya et Muharrem Demirkale, deux ex-responsables de la gendarmerie.

Cette éxécution eut un retentissement international et Valérie Manteau, documentée par son ami marseillais Jean Kéhayan, enquête sur AGOS, son fondateur « Des personnalités comme lui, chaque peuple n'en produit qu'une par génération, et encore », la communauté arménienne, et leur influence dans la Turquie actuelle confrontée au problème kurde et à la tentative de coup d'État du 15 juillet 2016 commanditée par une faction des Forces armées proche de Fethullah Gülen, leader musulman exilé aux USA.

La journaliste dénonce la révolution des signes (Harf Devrimi) imposée le 1er novembre 1928 par Mustafa Kemal Atatürk pour remplacer l'alphabet arabe, en usage sous l'Empire ottoman pour transcrire le turc, par un alphabet spécifique dérivé de l'alphabet latin. « Fethiye Çetin commence un de ses livres par une note sur l'alphabet et l'alphabétisation turque, disant qu'en 1913, sa grand-mère a écrit à son arrière-grand-père, émigré aux Êtats-Unis, en langue et en alphabet arméniens. Quand il a répondu, il a probablement dicté sa lettre, rédigée en «ancienne écriture», c'est-à-dire en turc et en caractères arabes. Les enfants ont dû la faire lire par une personne connaissant encore l'ancienne écriture - mais la grand-mère ne semblait pas non plus capable de lire le turc en «nouvel alphabet» latin.

C'est dire si l'acte fondateur de la République s'est fait dans le massacre des minorités et la coupure brutale de toute transmission écrite - «est-ce qu'un peuple qui ne peut pas lire ses propres poèmes d'amour peut avoir une histoire faite d'amour ? Je me demande ce que serait un Allemand qui ne pourrait pas lire Goethe, ou un Anglais à qui les sonnets de Shakespeare resteraient opaques», s'interroge, en se retournant sur le XX' siècle, Ece Temelkuran. »

Interrogation essentielle qui nous interpelle quand certains groupuscules militent pour un alphabet inclusif rompant avec notre héritage culturel. L'acuité de ce plaidoyer, au coeur des débats culturels et politiques actuels, prouve l'universalité du combat humaniste de Hrant Dink.

Cette pérégrination à travers Istanbul suit celle de Pierre Loti mais leur perception diffère car l'officier de marine VOIT le Bosphore et la ville quand l'amoureuse ENTEND les Stambouliotes. Cette oralité dicte des phrases telles que « Mais pourquoi tu vas raconter tout ça ? » qui agacera les lecteurs déroutés de plus par une foule de personnages pas toujours simples à identifier et un récit partant un peu dans tous les sens et frisant « l'illisible fatras » quand elle évoque notre pays et nos ministres.

Un sillon est traditionnellement rectiligne, Valérie Manteau creuse un sillon tourbillonnant… preuve que l'amour égare parfois la raison ?

Mais ce roman, écrit au lendemain de l'attentat contre Charlie Hebdo, est un superbe hommage au martyre de Dink ce «pigeon inquiet», un message de paix, un cri d'espérance dans l'avenir démocratique du pays d'Ahmet Altan, Asli Erdogan, Yasar Kemal, Orhan Pamuk et tant d'autres.

PS : le mystère de la rue Papa Roncallli est résolu :
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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