Simultanément, les deux jeunes femmes se tournèrent vers la matriarche de la Maison Delacroix, qui s'approchait d'elles, les joues bouffies et les yeux rougis. Était-ce d'avoir pris la fumée en plein visage, ou plutôt un témoignage d'humanité dont Widdershins ne l'aurait jamais crue capable ?
Ca m'arrive de savoir ce que je fais. Au moins de temps en temps. Tais-toi. Rien ne m'empêche de louer une chambre ici et de t'y abandonner, tu sais ? Tu serais coincé ici. Tu n'as pas de main. Je … Non, tu ne pourrais pas simplement sortir en passant à travers les murs ! Ils … Parce que ce ne serait pas du jeu, voilà pourquoi ! Mais vas-tu enfin te taire ?
- Dis-moi, Olgun, je me demande : les dieux ont-ils une raison particulière de ne pas donner un cerveau à tout le monde ? Est-ce que c'est censé être drôle ? Ou y a-t-il simplement eu rupture de stock à un moment donné ?
La voleuse leva les bras au ciel, geste de capitulation exaspérée face aux caprices de ce monde cruel, et se mit en route.
- Bon, Olgun …
[…]
- Il nous faut une destination un peu plus précise que "loin", tu ne crois pas ? haleta-t-elle. Parce que, euh ... Je crois que nous y sommes déjà, et que ces enfants de femme de mauvaise vie ont l'air de se rendre au même endroit que nous.
Tu es prêt ? Ca tombe bien, moi non plus.
- Widdershins, dit-il d'une voix neutre. […] Ce n'est pas l'endroit idéal pour une conversation incognito, il me semble.
- Vous ne m'aviez pas remarquée avant que je vous appelle. En outre, qui vous dit que je veux rester incognito ? Peut-être mon but est-il justement d'être … cognito.
- Et pourquoi suis-je en train de vous aider au lieu de retourner au cimetière ou à la basilique aussi vite que mes sandales peuvent me le permettre ?
- D'abord parce que ce sont des bottes que vous avez aux pieds. (La jeune femme avala une gorgée de bière trop claire, parfaitement infecte, mais tout de même encore trois crans au-dessus du prétendu ragoût, avant d'ajouter d'un ton amical :) Ensuite, parce que si vous ne m'aidez pas, je vais devoir retourner tout Lourveaux à ma façon pour trouver réponse à mes questions.
[…]
- Tu as vu ça, Olgun ? Il préfère reprendre de ce brouet infâme plutôt que de discuter avec nous ! Je pourrais bien me sentir insultée ! Pas toi ? Moi, si. Tu devrais le frapper de ton courroux. Est-ce que tu as le droit de frapper de ton courroux les moines qui servent d'autres dieux, ou est-ce que c'est, je ne sais pas moi, impoli ?
Puis elle atterrit à quatre pattes dans un carré de terre qui avait pu être un potager autrefois, et disparut dans les rues de Lourveaux …
Non sans se demander quelle distance elle devrait mettre entre elle et Davillon pour ne plus avoir à vivre ce genre de situation, et qui, par tous les diables, en avait après elle cette fois-là !
En compagnie d'un petit détachement de soldats de l'Eglise, vêtus cette fois de pourpoints rouges et de simples plastrons au lieu des atours bouffants aux couleurs criardes qu'elle les avait vus porter jusque-là. (Peut-être ne se déguisaient-ils en oiseaux mâles prêts pour la parade nuptiale que quand ils patrouillaient dans les lieux saints ?) Ce qui ne les empêchaient pas de brandir les mêmes hallebardes avec le même air de savoir s'en servir.