Citations sur L'homme qui rétrécit (33)
Il vit l'éclat venimeux des yeux de l'araignée .Il la regarda escalader une brindille de la taille d'un rondin ,le corps haut perché sur ses pattes que le mouvement rendaient floues jusqu'à atteindre le niveau des épaules de l'homme .
La réalité était relative. Il en était chaque jour un peu plus convaincu .Dans six jours , elle n'existerait plus pour lui-
Il se souvint du temps, vers la fin de son séjour dans les étages supérieurs, où il était incapable d'écouter de la musique sinon à si faible volume que Lou ne pouvait même pas l'entendre. Autrement la musique se transformait en un vacarme qui lui rompait les tympans et lui donnait la migraine. Un bruit de vaisselle lui mettait la cervelle en capilotade. Un éclat de rire, un cri de Beth l'agressait comme un coup de feu tiré à ses oreilles, le faisant grimacer et rentrer la tête dans les épaules.
Il connaissait l'existence de cette boîte de biscuits bien avant de se retrouver piégé dans la cave : c'était lui qui l'avait laissée là, un après-midi, il y avait de cela bien longtemps. Non, pas si longtemps, en réalité. Mais d'une façon ou d'une autre, les jours lui semblaient désormais plus longs. Comme si les heures avaient été conçues pour les êtres normaux. Pour quelqu'un de plus petit, les heures s'étiraient en proportion.
Il ne réussirait jamais à effectuer cette ascension d'une seule traite, c'était clair.
C'est alors que lui vint une nouvelle pensée. À quoi bon tout cela ? Dans quelques jours, tout serait fini. Il aurait disparu. Alors pourquoi se donner tant de mal ? Pourquoi s'acharner ainsi à poursuivre une existence déjà condamnée ?
Il secoua la tête. Ce genre de pensée était malsain. S'y attarder risquait de l'achever. Car enfin, tout ce qu'il avait fait et continuait de faire était dépourvu de logique. Et pourtant il ne pouvait s'arrêter.
Depuis le début ; il n'avait cessé de fuir. Physiquement, devant les hommes, les enfants, le chat, l'oiseau et l'araignée, et - pi encore- mentalement. Devant la vie, devant ses problèmes et ses peurs ; reculer, battre en retraite, ne jamais faire front, céder, renoncer, se rendre, voilà tout ce dont il avait été capable.
Ce n'étaient pas les pleurs, les sanglots d'un homme réduit au désespoir. C'étaient ceux d'un enfant assis dans d'humides et froides ténèbres, en proie à la souffrance et à la peur, qui se sentait vaincu, perdu dans un monde inconnu et hostile.
Pour l'instant, il mesurait vingt-cinq centimètres et Louise était arrivée un matin avec une gigantesque maison de poupée.
Au moment où une nuit encore plus noire envahissait sa conscience, il sentit du sang ruisseler sur sa joue. Ses jambes mollirent, ses mains se déplièrent comme des fleurs à l'agonie, et une averse de rochers dressa une tombe autour de lui.
Le rideau d'embruns n'avait rien de menaçant, mais un obscur instinct lui commandait de l'éviter. Il contourna la cabine à toute vitesse, grimaçant sous la douleur qu'infligeaient à ses pieds nus les planches brûlantes. Engagé dans une véritable course.
Qu'il perdit. Un instant en plein soleil, voilà qu'il se retrouvait l'instant suivant aspergé par un crachin tiède et diamantin.
Et puis plus rien. Il resta un instant immobile, couvert de gouttelettes étincelantes, à regarder le nuage glisser sur l'eau. Soudain, il frissonna et baissa les yeux. Il ressentait un curieux picotement sur la peau.