Le gâteau de la vie
Deux femmes aux deux extrémités du chemin de la vie, Cerise et Marie-Madeleine Marigot, se rencontrent aux Trois Soleils, un lieu transgénérationnel voué à la rétrospective comme à la reconstruction de soi. L'enfant, à la veille de ses six ans, ravive à l'occasion d'une noyade de laquelle elle échappe des souvenirs douloureux chez la femme âgée de septante ans et victime d'un récent AVC. Au début du récit, Marie-Marguerite s'exprime au moyen de nics-nacs alors que l'enfant orpheline peine, elle, à se nourrir. La veuve va peu à peu s'employer à la préserver des aléas de la vie.
Gravitent autour d'eux des pensionnaires comme des membres du personnel soignant du complexe médical, les uns marqués d'un handicap, les autres de particularités pittoresques. Pour la plupart, des inadaptés de la vie et qui ont comme surnom des noms de personnages de conte ou de fiction : Geppetto, Quichotte, Pimprenelle... A leur façon ils vont nourrir le récit qui va conduire aux confidences de la septuagénaire.
Claire Mathy joue du contraste entre des teintes semblables assimilables, si on n'y regarde pas bien, à l'uniformité. Elle pointe le singulier dans ce qui a vocation à être confondu, à aller par deux ou plusieurs. Voir à ce sujet l'intervention des triplés du roman qui font la leçon aux fielleuses jumelles sur la nécessité à ne pas vivre en vase clos même si on est issu du même placenta.
L'auteure a le sens de la fratrie et, par conséquent, celui de l'individualité. Au niveau de l'écriture, cela se marque par la précision du vocabulaire et la distinction des métaphores. Par l'onomastique aussi, qui donne des clés et des chemins de lecture. Et des phrases uniques, qu'elle soigne, comme pour leur donner toutes les chances de se débrouiller, de durer dans le maelström de la littérature.
Les personnages sont peu ou prou des victimes de l'illusion d'innocence dont ils se sont un jour bercés. Pour leur subsistance, ils doivent recoller au réel, quitte à devoir employer les armes (le persiflage, la cruauté) de l'ennemi, de l'ogre et se défaire d'un indéfectible sentiment de culpabilité qui les rend responsables de leur propre malheur ou de celui de leurs proches.
Comme dans la course des escargots initiée par Cerise, narrée dans un chapitre, Marie Madeleine s'éloigne peu d'une ligne tracée dès l'enfance. L'enfance, rappelée ou invoquée souvent à l'aube de la vieillesse, est le territoire par excellence où la libido se développe face aux interdits, au risque d'être refoulée à jamais par un surmoi trop puissant ou une bonne conscience coercitive.
Le feu s'oppose à l'eau, synonyme de danger ultime pour les fillettes du récit, et c'est comme si l'eau, pourtant libératrice et régénératrice comme dans la scène ou Cerise et Marie s'ébrouent sous la pluie devait, au final et suivant la belle formule employée par l'auteure, toujours noyer le feu.
Comme chez
Jean de la Fontaine, cité régulièrement par une pensionnaire du home, on retrouve dans la prose de Mathy cette concision du langage, cette densité narrative qui réclame l'extrême attention du lecteur. Hormis dans les lettres de la veuve, où la langue se fait moins ténue, plus déliée...
La narratrice, ergothérapeute, s'appelle Aurore Beauréel et sa fonction sera purement structurelle, celle de modérer et d'organiser les interventions des différents intervenants de l'histoire. Celle aussi d'accoucher une parole qui va donner le récit-miroir tendu au lecteur
Claire Mathy a passé haut la main l'épreuve, souvent périlleuse, du second roman. En faisant (davantage que dans son premier livre) oeuvre de fiction, en distribuant savamment les éléments de ce qui constitue déjà un univers romanesque, elle s'affirme comme écrivain et conteuse d'histoires.