Critique de ce qui est connu comme la « deuxième » version de Horla. Je n'ai pas lu la première.
le Horla est considéré comme un classique et je n'ai aucunement l'intention de contester son statut.
LE LIVRE :
La version que j'ai est publiée par ERPI, sous leur bannière « Collection Littérature Française ». C'est un beau petit livre, très sobre, qui contient en plus les deux versions de Horla et d'autres contes tels que
La Parure et Lettre d'un Fou (tous par
Maupassant). On a aussi droit à un avant-propos extensif qui donne du contexte et qui explique un peu les différents textes. Somme toute un bon livre, plutôt solide et qui passe inaperçu sur la bibliothèque.
LE TEXTE :
Tout bon écrivain a ses petits traits, ses petits talents qu'il cultive et qui brillent plus chez lui que chez un autre. Pour
Maupassant, bien que ceci soit ma première lecture, je dirais que c'est sa capacité, en seulement quelques mots, à capturer l'essence la plus crue de concepts à la fois familiers et étrangers; la capacité de décrire l'indescriptible et de sommer malgré la restriction des mots ce qui ne peut que se ressentir et aussitôt s'éclipser du moment présent. Des choses qu'on lit et qu'aussitôt on se rappelle, qui donne l'impression qu'on vient de se faire révéler un grand secret à propos de la vie qu'on avait oublié, qu'on partage en toute complicité effrontée avec l'auteur, un à un et avec personne d'autre.
Et il fait ça à travers des phrases tout à fait banales et plutôt sèches, même! Au début je lisais, dès les premières pages je me disais « Wow, c'est lui le fameux
Maupassant? Ça se lit quasiment comme un amateur! C'est quétaine! ». Je retire ce que j'ai dit; ces éclats succincts de brillance m'aveuglent, et l'ensemble du propos tenu est… vaste, pour peu en dire. Son intelligence se ressent et se palpe. Et pour me préciser, je n'ai rien non plus contre un style sobre et sans trop d'artifices, même que, comme on peut le voir, ça rend certains auteurs intemporels (
Flaubert et
Stevenson me viennent à l'esprit) et ils vieillissent avec la finesse qu'accorde un tel style.
Je ne sais pas si ce style a été adopté pour mieux seoir le format épistolaire de la narration (ce qui ferait tout son sens, et constituerait un choix artistique tout à fait respectable), mais ce que je sais, c'est que je vais lire plus
De Maupassant. J'ai
Histoire d'une fille de ferme qui m'attend, c'est ma prochaine lecture et je suis excité de voir ce qu'il va faire avec une telle histoire.
C'est dit que
Maupassant éprouvait certains des troubles décrits dans ce récit. En y repensant, je ne serais pas surpris; tout le récit paraît se limiter qu'au gris, grâce à sa narration et sa nature, et il est littéralement impossible de sortir de cette zone floue et de confirmer l'existence du Horla, tout comme il devait être impossible pour
Maupassant de savoir et comprendre la nature de ses propres troubles. C'est un trou noir, le summum, le point où toute pensée va inévitablement et où ni la raison ni la foi ne peut clarifier quoi que ce soit.
C'est l'ambiguïté qui tue et dans laquelle on se fait emporter à nos dépens, et c'est apte que
le Horla soit décrit comme l'ultime prédateur de l'homme : à notre époque, les maladies mentales paraissent plus répandues que jamais, c'est quasiment des pandémies de problèmes mentaux qui sévissent dans notre civilisation et qui déciment peut-être autant que toute autre maladie purement physique.
Et qui non seulement décime, mais qui en plus, avant de tuer, se fait une joie d'épuiser, d'abattre, d'isoler, de faire paniquer et de rendre confus et fou son « hôte ». En ce sens,
le Horla est tout à fait d'actualité et un récit hautement poétique, implicite au parfait degré, symbolique des nombreux maux et déboires qu'éprouve et continuera d'éprouver notre espèce. Et peut-être aussi que d'accorder une forme, un nom et une volonté à l'indescriptible est ce qui rend fou; personnifier ce qui n'est aucunement humain ou anthropomorphe est une recette pour le désastre, car cette entité, cette chose, ne se plie pas à nos concepts et défie toute attente.
Le Horla est donc un récit digne d'un maître raconteur d'histoire, et tout à fait digne du halo doré qui semble flotter autour du nom
De Maupassant.
Avec une prose trompeusement simple et un format très court et rudimentaire,
Maupassant m'a giflé et pétrifié, il a déchargé sur moi dix fois plus de sens et de propos que je pourrais espérer en tirer de n'importe quelle autre nouvelle (ou roman) écrite de nos jours par machinchouette. En une seule, infime nouvelle,
Maupassant m'a fait entièrement croire en son talent et me laisse en haleine, en admiration totale et en voulant plus de sa plume.
PLAISIR DE LECTURE :
Après cette lecture, je me sens un peu comme quand j'avais fini Jekyll et Hyde : décontenancé, fasciné, et incapable de tout à fait décrire le reste de mon émoi avec des mots, juste capable de vivre ce ressenti et d'aller au lit avec l'esprit plein et débordant. Ce qui est une bonne chose, soit dit en passant, une claque comme ça fait du bien de temps à autre.
Je le recommande à quiconque démontre le moindre brin d'intérêt envers
Maupassant, ou simplement à quiconque veut une nouvelle peut-être pas rassurante, plaisante ou normale, mais certainement unique et marquante.