Citations sur L'Auberge de la Jamaïque (83)
Quand ils viendront, Mary, tu ne me diras rien, ni à ton oncle Joss. Tu resteras dans ton lit et te boucheras les oreilles. Il ne faudra jamais me questionner, ni lui, ni personne, car si tu arrivais à deviner la moitié de la vérité, tes cheveux deviendrait gris comme les miens. Mary, tu ne parlerais qu'en tremblant et pleurerais la nuit et toute ta belle et insouciante jeunesse s'éteindrait, Mary, comme la mienne.
A quoi servirait une auberge qui ne pourrait donner à un honnête voyageur un lit pour la nuit?
On ne trouve pas la paix dans le vagabondage. L'existence elle-même est un assez long voyage sans ajouter à ce fardeau.
Elle était inexorable, cette pluie qui cinglait les vitres du coche et s'infiltrait dans un sol rude et stérile. Il n'y ait pas d'arbres, sauf un ou deux peut-être qui tendaient aux quatre vents leurs branches dénudées, ployés et tordues par des siècles d'intempéries. Et les orages et le temps les avaient si bien noircis que si, par aventure, le printemps s'égarait en un tel endroit, aucun bourgeon n'osait se transformer en feuille, de crainte de mourir de froid. La terre était pauvre, sans prés ni haies ; on ne voyait que des pierres, de la bruyère noire et des genêts rabougris.
- Quelque chose de moi s’en est allé dans la tombe avec la pauvre Nell, Mary. Je ne sais si c’est mon courage, mais je me sens le cœur las et je n’en peux plus.
Elle rentra dans la maison et s’assit dans la cuisine, le visage blême et paraissant soudain plus âgée de dix ans. Elle haussa les épaules avec indifférence quand Mary parla d’aller chercher le médecin.
- Trop tard mon enfant, dit-elle, dix-sept ans trop tard.
La mort était venue dans la maison ce soir-là et planait encore dans l'air. C'était cela, elle le comprenait maintenant, que l'Auberge de la Jamaïque avait toujours attendu et redouté. Les murs humides, les craquements du bois, les murmures dans l'air, les bruits de pas sans nom, toutes ces choses étaient les avertissements d'une maison qui se sentait depuis longtemps menacée.
La jeune fille frémit ; elle savait que la qualité de ce silence avait son origine dans des choses depuis longtemps enterrées et oubliées.
Des vents étranges soufflaient, qui semblaient ne venir de nulle part. Ils se glissaient à la surface de l'herbe, et l'herbe frissonnait ; ils soufflaient sur les petites flaques de pluie, dans le creux des roches, et les flaques ondulaient. Parfois, le vent hurlait et ses clameurs résonnaient dans les crevasses ; puis ses gémissements se perdaient de nouveau. Il y avait, sur les rocs, un silence qui appartenait à un autre âge, à un âge révolu, évanoui comme s'il n'avait jamais été, un âge où l'homme n'existait point, où seuls des pieds païens foulaient les collines. Il y avait dans l'air un calme, une paix plus ancienne et plus étrange qui n'était pas la paix de Dieu.
C'étaient des yeux étranges, transparents comme du verre, et si pâles qu'ils semblaient presque blancs. Mary n'avait jamais vu encore ce caprice de la nature. ces yeux s'attachaient sur elle, la fouillaient comme si elle ne pouvait cacher ses pensées les plus intimes.
Chapitre V
Un grand silence régnait sur les collines. A ses pieds, un corbeau s'envola en croassant; il battit de ses grandes ailes noires et fondit sur la plaine au-dessous avec d'âpres cris de protestation.
Quand Mary atteignit le sommet de la colline, les nuages de l'après-midi étaient assemblés très haut au-dessus de sa tête. Le monde était une grisaille. L'horizon lointain s'effaçait dans le brouillard qui allait s'épaississant.
Chapitre V
J'aimerais mieux voir ma fille dans la tombe que de la voir vivre à l'Auberge de la Jamaique avec un homme comme Joss Merlyn. (...) Il est né avec la tête du mauvais côté.
Chapitre V