Le jour où j'ai acheté
Danseur , je ne connaissais rien de l'auteur, ou alors il m'a semblé avoir entendu son nom cité dans l'émission Carnets de Route consacrée aux auteurs irlandais....mais pas sur. de même, je ne connaissais pas grand chose de Noureïev, à part le fait qu'il était un
danseur classique. Ce jour là j'avais juste envie de découvrir un nouvel auteur. Ce jour là j'ai eu de la chance, beaucoup de chance. Dès que j'ai ouvert le livre, je m'attendais à passer quelques jours à lire une biographie assez peu banale, dans un style plutôt simple, purement narratif , sans plus, et puis tout de suite, je suis tombée sur cet extrait: "Quatre hivers. Ils construisaient des routes en brisant les congères armés de leurs chevaux, ils labouraient la neige jusqu'à ce que les bêtes meurent, puis ils mangeaient leur chair avec une grande tristesse. Les médecins traversaient les champs givrés avec des ampoules de morphine collées sous leurs aisselles afin qu'elles ne gèlent pas et, la guerre continuant, il fut sans cesse plus dur de découvrir une veine sur les bras des soldats- moribonds bien longtemps avant que d'être morts. Dans les tranchées, ils nouaient serré les oreillettes de leurs chapkas, volaient les manteaux de réserve, dormaient les uns contre les autres et plaçaient les blessés entre eux, où il faisait plus chaud.Ils portaient des pantalons matelassés, des couches de sous-vêtements, et, pour rire, ils parlaient parfois des jambes de putains, ils en faisaient des écharpes de rêve.. le moment vint où ils ne retirèrent plus souvent leurs bottes. Ils avaient vu d'autres soldats- aux orteils, bleus, tombés soudain de leurs pieds- et ils croyaient maintenant que l'avenir d'un homme pouvait être prédit à sa façon de marcher", et ça a été une claque en pleine gueule. Je ne pouvais plus le lâcher. Précisons. La vie de Noureïev n'est pas rapportée de manière linéaire, c'est son entourage, depuis son enfance qui raconte: les infirmières au lendemain de la seconde guerre qui racontent leur quotidien à l'hôpital, et ce jour où des enfants pour amuser les soldats blessés, ont exécuté une danse folklorique, et parmi eux, un petit garçon nommé Rudik. Une famille dont le père rentre à peine de la guerre, et découvre son fils de sept ans, Rudi, essaie de rattraper le temps perdu. Un couple de vieux bourgeois,-la femme est une ancienne danseuse classique,-retrouvent un souffle de vie, en prenant sous leurs ailes ce petit garçon fou de danse, complètement indiscipliné et bourré de talent. Leur fille, loin d'eux à Leningrad, qui recueille le jeune homme de 17 ans durant sa formation....etc...la gouvernante, le chaussonier, les partenaires de danse, les amis, les amants, les ennemis, la presse....tous ceux qui ont croisé une seconde ou partagé la vie du génie, donnent l'impression qu'il leur fallait absolument retranscrire cette expérience. Et du coup, le livre passe d'un style à un autre ( récit, journal intime, lettres, article ...etc), d'un rythme à un autre, d'une ambiance à une autre, avec une constante : Rudi. Un homme, ou plutôt un Homme absolument formidable, si généreux, si talentueux, si vivant, que je n'ai pas pu m'empêcher de vouloir en savoir plus, de le voir et d'entendre sa voix. Sa vie a beau être riche d'expériences, elle a surtout été marquée par le sceau de l'exile et de la souffrance, et les dernières pages du livre, où il est question de rentrer chez lui, seulement pour quelques heures, parce que l'URSS de l'époque ne lui a accordé, à lui le traître à la nation , qu'un visa de 48 heures, sont insoutenables, avec cette mère à qui il a pensé toute sa vie, et qui au moment où enfin il la revoit ne le reconnait pas. Comment finir, alors que je reste encore sous l'influence de ce livre? j'ai connu des auteurs à l'écriture plus "spéciale", mais quelque chose de "spéciale" justement est portée par
Danseur, Quoi? je n'arrive malheureusement pas à l'exprimer. Donc, je dirais simplement: A lire.