Betty est une fiction, mais s'inspire de l'histoire familiale de l'auteure, se focalisant plus précisément sur l'enfance de sa mère, métisse cherokee. C'est une histoire d'amour, de dévotion et de violence, qui place en son centre une condition féminine indissociable de la blessure, du sang, et de l'obligation de rester debout malgré les douleurs et les traumatismes.
Les parents de
Betty se rencontrent dans un cimetière. Alka est blonde, fragile et fantasque. Landon a les pieds nus, "ceux d'un homme qui fréquente les bois et se lave dans la rivière". Il a 29 ans, elle en a 18 ; elle tombe enceinte, il l'arrache à un père brutal.
Betty nait au mitan des années 50, au sein d'une fratrie qui comptera onze enfants, dont plusieurs meurent à la naissance ou en bas âge. Pendant longtemps, les Carpenter mènent une vie d'errance, trimballant leur progéniture d'état en état, jusqu'à ce que le père, Landon, essuie au travail une insulte raciste de trop. Ils retournent alors se poser à Breathed, dans ces contreforts des Appalaches, Ohio, dont Alka est originaire. Ils y rachètent une bicoque délabrée dont les précédents habitants ont mystérieusement disparu, laissant derrière eux de suspects impacts de balles dans les murs.
C'est par les yeux et la voix de
Betty que nous suivons le quotidien du clan Carpenter, chacun de ses membres se parant d'une dimension singulière et marquante : Leland, l'aîné fougueux ; Fraya, la grande soeur qui enterre des bocaux contenant des prières ; Flossie la coquette, fillette à la peau blanche et aux cheveux clairs qui rêve de devenir star de cinéma ; Flint, enfant doux aux yeux de vieillard inquiet, bègue et pétri d'angoisses...
Betty est celle qui ressemble à son père. Elle en est même le portrait craché, ayant non seulement hérité de sa peau brune et de ses cheveux sombres, mais aussi de son imagination fertile et enchanteresse, qui lui fait écrire des histoires.
Et si l'intrigue est riche d'événements, de secrets et de mensonges (un peu trop, j'y reviendrai ensuite), c'est surtout la relation entre
Betty et ce père dont l'auteure fait un héros inoubliable que j'en ai retenue.
Landon Carpenter est sans doute l'un des plus beaux personnages de père qu'il m'ait été donné de rencontrer. Un père qui n'a pas de photo de ses enfants mais a sculpté, sur une canne dont il ne sépare jamais, leurs visages et les symboles qui selon lui les représentent ; qui connait précisément le nombre d'étoiles que comptait le ciel la nuit où chacun d'eux est né. Doté de mains en or, et véritable encyclopédie des plantes et de leur usage médical, il leur a transmis son amour d'une nature à laquelle il parle avec ferveur. Il est aussi le chaînon qui les relie à leurs origines, qui s'est donné pour tâche de leur faire souvenir qu'ils descendent du clan Aniwodi, au sein duquel les femmes exerçaient une puissance ancestrale. Pour
Betty, qu'il surnomme "ma petite indienne", il est celui qui ne lui dit pas ce qu'elle devrait vouloir, et qui surtout lui apprend à être fière de ce qu'elle est. Il est enfin celui qui crée, à chaque instant de leur vie, une mythologie familiale sur la base de récits mettant en scène leurs ancêtres, inventant des histoires et des légendes comme il respire, pour rassurer, émerveiller, instruire. Il est avec ses enfants d'une patience et d'une douceur infinie.
Tous, y compris Landon lui-même, ont besoin de croire à ces histoires, de "se raccrocher comme des forcenés à la pensée et à l'espoir que la vie ne se limite pas la réalité autour d'eux". Car en dehors comme au sein du cercle familial, la vie est dure, ponctuée de drames et de violence. A l'école,
Betty subit le racisme et le rejet, les pires préjugés étant véhiculés par les enseignants eux-mêmes envers cette petite fille trop noire. A la maison, elle pénètre peu à peu les noirs secrets qui hantent les membres de sa famille.
L'écriture, à l'instar du monde imaginaire que crée quotidiennement Landon, véhicule une poésie légèrement fantasque qui compense les malheurs qui plombent le clan Carpenter. le handicap
De Lint, le traumatisme qui pousse la mère à des crises de violence et à des simulacres de suicides auxquels ses enfants ont fini par s'habituer, ne sont pas nommés, ou rapidement occultés. Jusqu'à un certain point… parce qu'il arrive à un moment où trop c'est trop, et l'accumulation de malheurs, non seulement finit par peser sur les épaules du lecteur, mais surtout par nuire à la crédibilité de l'intrigue.
Un avis mi-figue, mi-raisin donc, pour ce roman aux nombreuses qualités malheureusement amoindries par une surenchère de pathos.
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