Je suis déçu. Pour un premier roman c'est certes un bel exploit de livrer une somme de 700 pages et d'obtenir le Prix Interallié. Avec en plus un sujet original qui nous change des histoires franco-françaises.
Hélas, trois fois hélas....
Mon avis s'est définitivement affirmé à la moitié du roman , lorsque l'auteur a fait intervenir dans le développement de la narration les "forestiers". D'abord, rien que l'intitulé "forestiers", m'a semblé peu approprié à cette troupe de rebelles valaques que l' histoire de ces contrées aurait certainement reconnu comme "Haïdouks" , des paysans en rupture de ban, mi-bandits de grand chemin, mi-partisans de l'unité roumaine, dont
Panaït Istrati et
Virgil Gheorghiu ont fait des héros de leurs romans. Bien loin de l'image qu'en donnent les écrivains roumains,
Mathias Menegoz, présente les "Haïdouks", les "forestiers" donc, comme un ramassis de bandits sans foi ni loi, commandés par un illuminé se prénommant Vlad (ah ah la belle référence à Vlad l'Empaleur...! ) , dont la seule occupation est la contrebande , et in fine, le massacre de tous leurs opposants. Dans ceux-ci les Hongrois et les Saxons de Transylvanie occupent bien sûr une place de choix puisqu'ils représentent l'oppression que subissent les Valaques.
Je l'écrit tout net : j'ai trouvé cette intrusion des "forestiers" , avec tous ses développements qui plomberont le livre jusqu'à la fin, absolument pas crédible. D'autant que le style de l'auteur qui enchaîne redondance sur redondance...fait de l'approche finale de la 699e et dernière page, un véritable petit chemin de croix littéraire.
C'était pourtant avec gourmandise que j'avais emprunté ce roman à ma médiathèque. Pour des raisons personnelles et familiales j'ai une empathie instinctive avec l'Europe dite " de l'est" , et plus particulièrement encore avec la Roumanie ; pays que je connais assez bien et que j'ai sillonné en tous sens à l'époque du Génie des Carpathes et du Danube de la Pensée :-).
Avec un tel titre , "
Karpathia" , le livre de
Mathias Menegoz ne pouvait que parler à mon coeur. D'autant que la quatrième de couverture était plutôt alléchante : cette histoire d'un comte hongrois qui va recouvrer les terres de ses ancêtres au fin fond de la Transylvanie était gage de romanesque épique sur fond historique compliqué et passionnel.
Effectivement , jusqu'à la presque moitié du roman, l'aventure est là. L'auteur procède par succession de moments forts : le duel, la rencontre avec Cara sa future femme, le voyage interminable pour rejoindre la Korvanya , l'arrivée au château, la découverte du pays....Tout cela narré d'une écriture sobre et neutre qui ne force jamais sur les figures de style.
Lorsque , successivement, deux jeunes enfants disparaissent mystérieusement, le lecteur peut raisonnablement se dire qu'on entre enfin dans le vif de l'histoire , d'autant que, précédemment, l'auteur nous a montré le Comte Alexander Korvanyi découvrant dans la crypte de la chapelle du château, les sépultures profanées de ses ancêtres. Dans nos petits cerveaux d'amoureux de la littérature les synapses des neurones ont vite fait de tilter : la Transylvanie -Dracula-vampires-gousse d'ail-pieu.. La nuit des morts-vivants-Le château des Carpathes-Vlad Tepes " l'empaleur" accusé d'avoir fait empalé vingt mille turcs (ce qui est faux...). Et pour qu'on ne s'effraie pas idiot ,
Mathias Menegoz nous a bien chapitré sur les particularités politiques et sociales du pays. Dans la Korvanya les serfs sont valaques (roumains) et orthodoxes , les bourgeois des villes sont saxons , protestants et parlent allemand, mais les possesseurs du pouvoir , eux, sont hongrois. Et tiennent à ce qu'on le sache ; ce qui perdra Alexander Korvanyi à trop le vouloir.
Avec de tels éléments à sa disposition je m'attendais à ce que l'auteur traverse le miroir et nous emmène dans une Transylvanie fantasmée. Il y avait matière à un roman sombre , angoissant, jouant sur le non-dit, sur l'équivoque,sur le mystère ... Au lieu de ça on reste au ras des pâquerettes : les enfants disparus ? l'un c'est un vulgaire loup qui l'a boulotté, l'autre gamin était tzigane , alors vous pensez bien comme on s'en soucie...Les sépultures saccagées ? bof , c'est la faute aux serfs valaques révoltés en 1784.
Le soufflé commence à se dégonfler à ce moment là ; précisément quand l'auteur fait intervenir les "forestiers" .
D'une histoire encore sauvable il ne reste qu'un livre très bavard ( trop d'explications tue l'explication...) , un livre dont les personnages n'attirent aucune sympathie. Un livre sans mystère (s) , qui se réduit finalement à une chasse (la fameuse "Jagdfest") dégénérant en une chasse à l'homme ; Les Chasses du Comte Zaroff en Transylvanie et en grand équipage....