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Adolphe Carle (Illustrateur)
430 pages
Gabriel Roux, Libraire-Éditeur (10/06/1854)
5/5   1 notes
Résumé :
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Aujourd'hui bien oublié, Joseph Méry n'en fut pas moins une des plumes les plus raffinées du XIXème siècle. D'abord fortement bonapartiste sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, il devint curieusement plus volontiers monarchiste sous le Second Empire, sans doute par effet de nostalgie, le nouvel empereur étant pétri d'idées modernes, sociales et affairistes qui sonnait le glas d'une France rurale immuable pendant des siècles.
Son style littéraire tient à la fois de la rigueur et du raffinement De Stendhal, et de l'esprit charmeur et ironique de Théophile Gautier. Il partage avec ce dernier un goût marqué pour l'exotisme et le roman d'aventures, bien que paradoxalement, il se limite assez souvent à des intrigues minimales, dont le déroulement est continuellement ralenti par d'interminables dialogues.
Car Joseph Méry est avant tout un dialoguiste hors pair, aux tirades taillées pour le théâtre, et qui sont l'objet d'échanges et de débats qui s'éternisent parfois sur plusieurs dizaines de pages, avec certes une inspiration constante et une rhétorique sublime et d'une galanterie irréprochable, mais enfin, il arrive assez souvent qu'à la veille d'une grande action tumultueuse dont on pressent le souffle épique, deux personnages se mettent soudain à tailler une bavette de trente pages qui temporise lourdement le récit.
Ne cherchons d'ailleurs pas plus loin la raison de la disgrâce de Joseph Méry auprès de la postérité. Disparu en 1866, au moment même où le roman-feuilleton trépidant atteignait son âge d'or, Joseph Méry est très vite apparu comme un ennuyeux bavard, dont chaque roman de 400 pages ne cumulait pas plus d'action que dans 25 pages d'Eugène Sue. La IIIème République acheva de faire tomber dans l'oubli ce romancier qui n'avait jamais épousé sa cause.
Pourtant, si effectivement l'aventure n'y est jamais qu'un décor de toile peinte, prétexte à un mélo ou à un vaudeville, les romans de Joseph Méry restent, comme ceux De Stendhal, de remarquables exercices littéraires, servis par des personnages d'une étonnante complexité pour l'époque, et qui sont avant tout de profondes déclarations d'amour à la Femme. Car quelle que soit l'intrigue ou le contexte historique où Joseph Méry plante son récit, on en revient toujours à parler des femmes ou aux femmes, et c'est à leur sujet ou directement avec elles que les hommes devisent interminablement, et rivalisent en mots d'esprit, en flagorneries, en esquives subtiles, en plaisanteries fines et en déclarations d'amour voilées. Non seulement Joseph Méry aime le verbe, mais il aime la complicité mondaine qui se noue dans ces joutes amoureuses ou amicales. Tout est coquetterie dans ses romans, chez les hommes comme chez les femmes, mais coquetterie sublime et délicieuse. Joseph Méry n'était pas forcément très charnel dans son amour des femmes, mais sa plume dégage un charme sirupeux et une sensualité à nulle autre pareille.
« La Guerre du Nizam », évocation vaudevillesque de la guerre menée par les colons anglais contre la secte des Thugs, fut l'une de ses oeuvres les plus célèbres. Il s'agit du troisième roman d'une trilogie comprenant « Heva » (1844) et « La Floride » (1845), et ayant comme principaux personnages l'aristocrate célibataire-et-fier-de-l'être Sir Edward et son jeune ami le colonel Douglas.
Dans ce troisième tome, le colonel Douglas se prépare à épouser à Smyrne (actuellement Izmir, en Turquie, mais la ville était à l'époque en territoire grec) une jeune noble locale nommée Amalia, grande amie de la comtesse française Octavie de Verzon, elle-même très éprise de Sir Edward. À ce mariage assiste également, navré, le comte polonais Elona Brodzinski, ex-fiancé d'Amalia mais éconduit par la famille de la jeune grecque, au grand regret de cette dernière dont le coeur penchait plutôt pour Elona.
La venue tardive de Sir Edward, fort empressé car envoyé par Sa Majesté le Roi, met fin abruptement à la cérémonie. Il informe les invités que Sir Douglas est appelé sur l'heure à revenir au lieu de son affectation, la région indienne du Nizam, pour y mener une mission spéciale pour le Roi. Lorsque Douglas prend connaissance du message, il ne lui reste qu'une heure avant de célébrer son mariage. Il apparait évident que l'on aurait quand même le temps de boucler ce mariage avant que le colonel ne parte en mission, mais Sir Edward insiste : sur l'heure, ce n'est pas au bout d'une heure. Les deux hommes plantent donc la cérémonie en quelques minutes, et remettent le mariage à une date ultérieure non précisée. Ignorant que le mariage de sa bien-aimée n'aura finalement pas lieu, le comte Elona, voyant que Sir Edward est venu à bord d'un navire, demande à être embarqué pour fuir son dépit amoureux. Sir Edward, ému, lui annonce qu'ils partent vers l'Inde pour se battre contre les indigènes. Elona voit là l'opportunité d'une mort glorieuse au nom de la couronne britannique, et il accompagne les deux autres, n'ayant pas encore identifié le colonel Douglas comme le promis de la femme qu'il aime.
Amalia, humiliée, ronge sa honte d'être ainsi abandonnée. Octavie, de son côté, se dit qu'il y a anguille sous roche et que cette mission royale tombe un peu trop à point. Elle propose à Amalia de laisser quelques jours d'avance aux fuyards, puis d'aller les rejoindre au Nizam où, après tout, on peut se marier aussi bien qu'ailleurs.
Octavie a deviné juste : l'ordre de mission est un faux, même s'il y a effectivement une urgence au Nizam, où la secte des Thugs, secte d'assassins luttant contre l'occupant anglais, précédemment exterminée, a refait surface, plus puissante que jamais. Mais à cette mission militaire s'en mêle une autre, d'une nature bien différente : le colonel Douglas est en fait officiellement fiancé en Inde à Arinda, la délicieuse fille d'un puissant nabab local. Face à cette beauté exotique, la perspective d'épouser Amalia, avec laquelle il s'était engagé bien trop jeune, est devenu une option à fuir. Hébergés au palais du nabab, traités en invités de luxe, Sir Edward et Douglas s'offrent de bien jolies vacances tous frais payés. Hélas, voilà que par une lettre perfide, qui en dit long sur son incrédulité, Octavie annonce aux deux hommes son arrivée prochaine en compagnie d'Amalia dans le village voisin de Roudjah, accompagnées de leur tuteur, Mr Tower, un homme fat et imbu de lui-même que Sir Edward n'aura aucun mal à manipuler, et dont il s'empressera de lui balancer le comte Elona dans les pattes, lequel ne tardera guère à filer en cachette le parfait amour avec son Amalia.
La situation reste cependant délicate : il faut gagner du temps jusqu'au mariage de Douglas avec Arinda, cacher aux deux européennes l'existence même du palais où ils sont hébergés, endormir leur méfiance et esquiver toutes leurs manoeuvres le jour, puis s'évader en cachette du palais chaque nuit pour aller traquer les Thugs.
Evidemment, rien ne va se passer comme prévu, d'autant plus que la comtesse Octavie, partie à l'assaut du palais du nabab et persuadée que c'est avec Sir Edward lui-même qu'Arinda est fiancée, s'échappe un soir dans la campagne indienne, inconsciente des dangers de la faune locale, et plus encore de celui représenté par les Thugs, prêts à capturer et à égorger tout homme ou femme qui s'aventure sur leur territoire...
Très vite, chaque femme essayant de retrouver son homme, et chaque homme essayant d'embrouiller l'esprit de la femme venue le rendre à la raison - et donc au mariage -, le roman d'aventures évolue en un vaudeville où les malentendus, les suspicions, les mensonges, les rebondissements imprévus ruinent ponctuellement les projets de chacun.
Si on s'abstrait de l'objectif un peu boulevardier du récit, on en appréciera cependant l'admirable finition. Grand amateur du jeu d'échecs, fondateur de la première publication française qui leur soit consacrée, Joseph Méry manie véritablement ses personnages comme des pièces d'un échiquier, avec la virtuosité d'un joueur chevronné qui a toujours trois ou quatre coups d'avance sur son adversaire - c'est-à-dire son lecteur. Dans cette guerre des nerfs, aux allures de joute verbale quasi-ininterrompue, agitant deux des principaux couples du récit (et principalement celui formé par Sir Edward et Octavie), il fait preuve d'une intelligence et d'un raffinement qui rendent infiniment plaisant au lecteur son égarement dans le labyrinthe de ces passions contrariées. Ajoutons que la plupart des personnages étant britanniques, Joseph Méry a su, avec un incroyable mimétisme, donner une "british touch" à son récit, qui ne manque pas d'un fort savoureux humour anglais façon "nonsense". Si ce n'est par quelques excentricités qu'il eût été vain de trouver dans la production littéraire de l'Angleterre victorienne, on croirait lire un roman authentiquement britannique.
Mine d'anecdotes et de trouvailles, le personnage de Sir Edward parsème le récit de quelques poésies touchantes ou au contraires absurdes, qui rajoutent un amusant fil rouge à ce récit. L'une d'elles, « L'Émir de Bengador », censée être la traduction anglaise d'une chanson indienne imaginaire, sera mise en musique par le compositeur César Franck, grand admirateur de Joseph Méry.
Pour toutes ces raisons, « La Guerre du Nizam », malgré un caractère désuet ou frivole qui contraste avec l'extrême soin de sa rédaction, demeure encore aujourd'hui un roman d'une incroyable qualité, d'une écriture magnifique et d'un style tout à fait unique. Il ne se dévore pas comme une histoire pantelante, il se déguste note par note comme une symphonie.
Certes, tout le monde ne se retrouvera pas dans cette littérature à la fois généreuse, ampoulée, maniérée et statique, mais tout amateur de littérature classique, sincèrement épris du côté "hénaurme" De Balzac ou De Stendhal, trouvera en ce roman de Joseph Méry une émotion littéraire insoupçonnée.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Le tigre, qui avait jugé au degré des exhalaisons et à la faiblesse de la voix, que l'ennemi n'était pas redoutable, flairait les échelons et les montait un à un avec une lenteur superbe, se cramponnant au mur d'un coup de griffe, quand l'escalier semblait fléchir sous le poids de l'énorme assaillant. Déjà, sa large face, hérissée de poils rudes et zébrée de noir, atteignait le niveau de la fenêtre, en exhalant, par sa gueule ouverte, une tempête gutturale d'aspirations, lorsqu'Edward saisit le haut de l'échelle d'une main, fit feu de l'autre, à bout portant, sur le monstre et précipita le cadavre et l'escalier avec une vivacité d'exécution qui révélait la longue expérience de l'intrépide chasseur.
L'autre tigre, qui ne pensait qu'à ses petits, poussa un mugissement terrible, et s'élança vers leur retraite pour voir s'ils n'avaient pas été tués du même coup.
Au bruit de l'arme, des nuées d'oiseaux obscurcirent les étoiles et mélèrent une symphonie aérienne de cris rauques aux mugissements des bêtes fauves, chassées vers l'horizon, dans un accès général de folle terreur.
Edward se releva lestement et dit :
- Il est cruel de jeter le deuil dans un ménage si uni, mais le salut public avant tout.
Octavie, debout devant lui, immobile de stupéfaction, ressemblait à une magnifique statue, inondée de draperies blanches, et descendue dans le tombeau sur lequel l'avait posée le sculpteur.
- Eh bien, madame ! dit Edward. Vous qui êtes affamée d'émotions, comment trouvez-vous celle-ci ? Voilà nos idylles au Bengale : une chaumière et deux bergers assaisonnés de tigres. C'est du pastoral indien. J'espère vous avoir servie à votre goût !
- Vous avez été admirable, Sir Edward, dit la comtesse avec une voix bien émue encore. mais il me semble que vous avez permis au tigre de s'avancer un peu trop.
- Votre observation est juste, madame, dit Edward d'un ton toujours plus léger. C'est qu'une idée m'a traversé le cerveau... Une idée anglaise ! Shakespeare l'a oubliée dans le Songe d'une nuit du milieu de l'été. C'était une lacune à remplir.
- Quelle idée, voyons, Sir Edward ?
- Oh ! Vous ne la comprendrez pas. C'est de l'amour inintelligible... J'ai eu l'idée de laisser entrer le tigre sans me défendre.
- Mais il nous aurait dévorés, vous et moi...
- Tout juste... J'ai failli céder à cette voluptueuse tentation de me laisser engloutir avec vous dans le même tombeau vivant.
- Quelle horreur, Sir Edward !
- Ah ! Je regretterai peut-être un jour une si belle occasion ! Puisqu'il faut que je meure, je ne trouverai jamais un genre de mort plus séduisant.
- Vous m'auriez donc sacrifiée, ainsi, moi, sans me consulter ? dit Octavie avec son premier sourire.
- Voilà justement la considération qui m'a retenu. La seconde idée a corrigé la première; mais je frissonne de joie en songeant au bonheur ineffable dont je me suis privé, par égard pour vous.
- Par égard est charmant !... Maintenant, dites-moi, Sir Edward, comment allons-nous sortir de ce gite suspendu ?
- Nous en sortirons, madame, n'ayez aucune inquiétude; mais nous ne pouvons descendre qu'au grand jour. Il faut que le soleil vienne purifier les bois, selon son habitude de six mille ans. Les dernières étoiles montent à l'horizon de l'aurore, et le bengali se réveille à la cime des palmiers. Après le rugissement du tigre, le chant du bengali. La nature indienne aime les contrastes; c'est une grande artiste, comme vous.
- À sa place, je supprimerais les tigres, et je garderais les bengalis.
- Vous feriez une faute, madame. On périrait bientôt d'ennui au Bengale. Ce serait comme à Londres. Au bout de quinze jours, on vous réclamerait les tigres par droit de pétition.
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- Aimez-vous les songes, Miss Arinda ?
- Oui, quand ils sont beaux. J'en ai fait de tristes cette nuit; aussi, vous m'avez horriblement effrayée avec vos tigres noirs.
- Ah ! Miss Arinda, il le fallait. C'est une terreur salutaire, c'est une bonne leçon. Le nabab, votre père, fermera, j'en suis sûr, maintenant, les portes de sa maison, une heure après le coucher du soleil... Revenons à mon rêve : il est délicieux, je l'ai fait entre minuit et deux heures. J'ai rêvé que je me mariais.
- Voilà un rêve charmant ! Avec qui, Sir Edward ?
- Avec Miss Sidonia, votre amie, et que Sir William Bentick m'avait donné pour dot la ville de Calcutta sur un plateau d'argent. À mon réveil, je commençais à adorer Miss Sidonia; et quand vous aurez épousé le colonel Douglas, nous partirons tous les trois, et nous irons demander la main de votre amie pour moi à Sir William. Il faut que mon rêve ait raison.
- Êtes-vous fou, Sir Edward ? Vous ne connaissez pas Miss Sidonia !
- Voilà pourquoi je dois l'épouser. Il ne me reste qu'un moyen pour me marier, c'est d'épouser une femme que je ne connais pas. Je veux tout tenter avant de mourir.
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