Gros coup de coeur, ce roman est un must-read !
Dans
le roi n'avait pas ri,
Guillaume Meurice donne voix et vie à Triboulet, le bouffon des rois Louis XII et
François Ier. Être difforme moqué et rejeté, il réussit son ascension à la cour par le hasard d'une rencontre et grâce à son sens de la répartie. Facéties et frasques tolérées et encouragées par le roi lui offrent protection et appui, mais jusqu'où… Car finalement, le pouvoir tolère-t-il vraiment le rire ?
Avant toute chose, il faut préciser que je suis très, très livre papier. Mais ce roman ne sortait pas en librairie à Montréal avant mai donc j'ai fait le choix de l'acheter en numérique (parce que j'aurais pu passer par la plateforme dont il ne faut pas prononcer le nom pour le faire livrer chez moi, mais non, évidemment). C'est la première fois que je fais ça : c'est vous dire à quel point j'étais impatiente de lire
Guillaume Meurice. Autre précision, au cas où ce ne serait pas évident. Je l'adore : humoriste et chroniqueur sur France Inter dans Par Jupiter, le moment Meurice est un instant que j'attends avec impatience à chaque fois. Je l'ai désormais découvert comme écrivain et je suis conquise.
Le roi n'avait pas ri est un roman passionnant et extrêmement bien écrit, bien rythmé. On y suit Triboulet qui nous raconte sa vie et son parcours, depuis une enfance miséreuse que sa condition d'être difforme rend encore plus difficile et douloureuse jusqu'à son ascension sociale à la cour du roi. Rejeté, martyrisé, banni de la société, il était voué à traîner son malheur jusqu'à la mort. Mais une rencontre hasardeuse fait basculer son destin et lui fait intégrer la cour de Louis XII comme fou du roi, rôle qu'il conservera auprès de
François Ier. Il y évoluera parmi les plus hautes sphères de pouvoir dans une position instable, dépendant du rire et donc de l'approbation royale, qui peut vous faire passer de la gloire à la déchéance en un instant. Mais où s'arrête le rire, où commence l'outrage ? Triboulet s'y frotte, exerce son Verbe, jusqu'à frôler la frontière interdite, si tentante à traverser.
Ce récit s'appuie sur des réalités historiques mais est romancé. On connaît très peu de choses sur Triboulet et je vous invite d'ailleurs à écouter
Guillaume Meurice qui parle de son processus d'écriture mêlant faits et fiction, notamment dans un de mes podcasts favoris, Passion Médiévistes. J'ai adoré que ce récit permette d'ailleurs de nuancer le roman national qui a tendance à notamment souvent présenter
François Ier comme un roi épatant, alors que certains de ses agissements prouvent clairement que ce n'était pas toujours le cas.
Guillaume Meurice marie de manière très équilibrée des descriptions qui permettent de s'immerger dans la vie de l'époque, les conditions de vie des faibles comme des forts, à Blois, sur les champs de bataille milanais, à Paris un peu aussi, avec une narration vivante et captivante. Une fois qu'on commence à suivre Triboulet, impossible de le lâcher jusqu'au dénouement. À travers ses yeux sont présentées les pires bassesses et horreurs humaines mais aussi son cheminement personnel et intellectuel, où il trouve finalement un sens à sa vie en devenant le bouffon du roi. On s'attache à ce personnage futé et humaniste, qui sous le chapeau de fou est très intelligent et fin d'esprit.
Au-delà de la vie de Triboulet, de nombreuses réflexions sont abordées sur les rapports entre le rire et le pouvoir, sur la folie et le pouvoir des mots aussi. Triboulet nous fait nous interroger sur notre propre capacité à nous convaincre, à nous faire manipuler. Il nous rappelle que le rire est une soupape mais aussi un vecteur de prise de conscience. Un outil puissant et libérateur. Il nous parle aussi d'Érasme, de
Jean Marot, de l'absurdité des hommes, qui lorsqu'ils se croient sages sont parfois les plus fous. Ce roman fait beaucoup réfléchir, émeut par moments et fait vraiment rire à d'autres. Les réparties de Triboulet et sa volubilité, son insolence aussi, m'ont fait éclater de rire maintes fois. Je garde beaucoup de passages du livre en tête, des phrases édifiantes qui viennent alimenter la pensée. Je ne vous en livre que deux, au hasard de mes notes, bien que plusieurs mériteraient d'être mis en lumière :
« Continue à dire au monde qui il est… Tu en dis bien plus dans tes bouffonneries que n'importe quel traité de philosophie… La parole sauve… le rire aussi… D'une autre manière »
« Mais lorsqu'elle est tolérée, l'irrévérence fait-elle révérence ? »
C'est donc un énorme coup de coeur pour
le roi n'avait pas ri, que je vous recommande chaudement.
Guillaume Meurice réussit à nous faire rire et réfléchir avec une très belle plume, qui nous transporte dans le temps et l'espace et nous rappelle aussi que certains questionnements restent intemporels et universels. En tout cas, avec ce roman, il touche le grelot (voilà, c'était ma piètre tentative d'humoriste, je tire ma révérence).
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