De temps à autre, des sujets historiques maltraités (ou mal traités) dans les médias dominants refont surface avec une autre vision et par un cadre plus populaire. Ici,
Raphaël Meyssan propose un récit sur Les Damnés de la Commune, paru chez les éditions Delcourt.
Une nouvelle histoire de la Commune (1870-1871)
Ces Damnés ne sont pas une histoire nouvelle à proprement parler, mais des éclaircissements, des rappels, des mises au point, au plus près des faits avérés concernant la Commune de Paris de mars à mai 1871. Pour bien comprendre les enjeux posés dès 1870 avec un contexte très particulier (fin du Second Empire, emprisonnement de
Napoléon III, guerre contre la Prusse, début de la IIIe République),
Raphaël Meyssan nous emmène à la suite de Lavalette, son « voisin communard » comme il l'appelle dès le départ. En effet, au hasard d'une recherche à la Bibliothèque historique de la ville de Paris, il tombe sur un dénommé Lavalette qui habitait dans son immeuble actuel. de fil en aiguille, il remonte le cours de l'Histoire pour comprendre ce qu'un simple gazier (chargé d'entretenir les éclairages publics au gaz) vient jouer comme rôle dans un des plus beaux moments de la démocratie française, mais aussi un des pires. Ce premier tome s'intéresse surtout à la préparation, à la mise en place des enjeux politiques, économiques et sociaux notamment ; deux autres tomes sont prévus, sûrement sur le déroulé des deux mois de la Commune de Paris et son achèvement sanglant.
Une bande dessinée sans dessins
Comme il l'indique à un moment du récit,
Raphaël Meyssan a trouvé des gravures dans les journaux et les livres des années 1870, de quoi illustrer son histoire sur tout un livre. Et c'est exactement ce que présente ces Damnés de la Commune : un album de gravures de l'époque retravaillées pour créer une histoire cohérente, d'autant plus que des gravures sur l'événement de la Commune, il est possible d'en retrouver un certain nombre tant il a eu un retentissement mémorable. Pour éviter un récit monolithique, il découpe, strie, réagence, joue en somme avec ces gravures et les fait revivre avec des dialogues soit inspirés de sa propre enquête historique, soit reproduisant directement des écrits de l'époque que des sources attestent encore aujourd'hui. L'effet d'immersion joue donc à plein. On peut bien sûr être peiné de ne pas profiter d'un trait graphique particulier, par contre c'est l'occasion d'analyser et de comprendre toute la complexité du travail de metteur en scène dans le métier de bédéaste. Ainsi, les zooms sont stratégiques, les encarts de certaines lettres d'époque montre à voir bien plus qu'une simple réécriture textuelle et certains jeux graphiques permettent de faire émerger des personnages qui prennent vie, s'extrayant de leur gravure d'origine. L'ensemble aurait pu paraître un brin hétérogène au niveau du style graphique, mais les sources choisies ont dû l'être dans une période de production relativement réduites et le résultat est très convaincant.
Faire de la micro-histoire est passionnant
En nous invitant à suivre la préparation de la Commune de 1871 par les récits de gens simples, souvent éloignés du pouvoir,
Raphaël Meyssan fait oeuvre de micro-histoire (« microstoria » selon les historiens italiens qui ont débuté ce mouvement dans les années 1970). L'auteur fonctionne selon les découvertes de sources historiques qu'il peut trouver, mais aussi par récits interposés. Ainsi, « à la recherche de Lavalette », nous croisons Victorine, humble parisienne dont les malheurs familiaux croisent les déboires de la France de l'hiver 1870-1871, on passe par le récit de
Henri Rochefort, puis les télégrammes de
Jules Ferry en panique, et bien d'autres au passage. Ici, ce sont clairement les destins particuliers de quelques personnages qui tiennent le récit ; ils peuvent être vus comme d'importance mineure mais, indice après indice, ils incarnent parfaitement l'idéal d'une insurrection populaire qui devrait encore donner des idées aux générations actuelles. À force de les croiser dans des rues parisiennes qui peuvent vous sembler déjà familières, le lecteur ne peut que saisir la domination exercée sur eux par les institutions politiques, économiques et sociales et constater l'incroyable force d'agir qu'ils invoquent en retour.
Gérard Noiriel, auteur d'Une Histoire populaire de la France, validerait sûrement ce type de bande dessinée. Et quand on voit ce qu'on conserve de cette Commune, on se dit qu'il serait bien dommage de ne retenir que les récits des vainqueurs qui ont conservé le pouvoir depuis.
Ce premier tome des Damnés de la Commune est une bande dessinée un peu particulière par le format qu'elle propose, toutefois son propos et son récit en font une lecture passionnante au plus haut point !