Stardust

Je pense à la musique.
Avec la poésie, c'est ce qui me reste en mémoire. Ce qui ne bouge pas. Ce qui me parle et me touche encore.

Elle n'a parlé à personne depuis ce matin, mais ses oreilles ont traîné. Certaines sont ici depuis des mois. D'autres n'y ont passé que quelques jours avant d'être rendues à leur inutilité. Avec, en poche, de quoi payer un jour ou deux d'hôtel. Des étrangères inexpulsables pour cause d'enfants français mais non autorisées à résider s'en sont retournées d'où elles étaient venues. Dand l'équarissoir des errances urbaines.

Personne ne s'imagine combien celui que l'on voudrait secourir peut se montrer réfractaire, étranger à l'amour. Azerwal a découvert cela. Il a appris aussi qu'on ne lui donnerait ni les moyens, ni le temps d'accomplir ses missions. Rien que des bouts de ficelle. Il fait ce qu'il peut. Son salaire est malingre.

Envie de massacrer tout ce qui leur ressemble. Ce désir-là est le plus courant et le plus puissant. C'est comme briser le miroir qui vous renvoie une image dégradée.

L'enfant est son univers. Ses yeux noirs ouvrent des futurs. Des heures décadenassées, propres. Des espaces et des ères propices au rêve, à l'insouciance. Ils lui demandent de les y conduire. Elle doit y parvenir. Trouver la voie. Sa fille lui tient la main. Il faut marcher. La fillette plante, dans le cœur de la mère, un orgueil ineffable. Ne pas se laisser écraser. Ne pas permettre à l'ombre de la recouvrir. Bliss enfante Louise, l'oblige à se tenir debout.

Elle accepte sa singularité. C’est en écrivant qu’elle trouve un espace habitable. En concevant un univers et en le faisant advenir sur la page. Le chant est sa parole véritable. L’écriture, sa planche de salut. 

Les cheveux de Bliss imite la mangrove épaisse et mystérieuse qui s’étire le long du fleuve Wouri. La jeune femme songe à la terre où elle ne vivra plus. Les pays sont comme les personnes. Parfois, on les aime fort, sans que l’entente soit possible. Louise se sent une âme en suspens.Une funambule sans appartenance territoriale. 

Celles qui en doutaient encore savent que la protestation est l'apanage des ayants droits, des socialement insérés.

Il faut subir des interrogatoires partout. Monter les dossiers. Se faire enregistrer. Évaluer. Ficher. Remettre à sa place, souvent.

Vivre ici m'enseigne chaque jour ce qu'est le sous-développement. Atrophie de la matière grise. Je pense à mes camarades de faculté, aux questions stupides qu'ils me posaient. Parfois je parlais si bien leur langue. Parce qu'ils s'en croyaient les propriétaires, après que leurs ancêtres l'avaient répandue dans nos pays à coup de trique. Comment j'étais arrivée là. Comme si j'avais pu faire le voyage à la nage.