Je suis tombée sur ce livre alors que je me baladais une fois de plus dans le catalogue de Lirtuel (la bibliothèque belge francophone en ligne), et j'ai presque aussitôt décidé de l'emprunter ! « Presque », car je ne suis guère lectrice de théâtre : j'aime beaucoup aller voir l'une ou l'autre pièce, alors que les lire m'ennuie le plus souvent. En effet, dans une pièce de théâtre, bien au-delà du texte (qui est certes important !), tout se fait aussi à travers le jeu des acteurs, leurs interactions, le plaisir qu'ils ont à jouer ou pas, et puis il y a aussi le fait de voir le décor etc. ; dès lors, juste lire la pièce me semble un peu « vide ».
Mais bon, c'est aussi
Alexis Michalik, apparemment très connu pour ses pièces, mais auxquelles je ne m'étais jamais intéressée particulièrement. En réalité, j'avais découvert cet auteur il y a quelques années à travers son seul roman, «
Loin », qui m'avait fait forte impression. Dois-je préciser que, là aussi, je l'avais déniché tout à fait par hasard? : j'étais tombée dessus chez
Belgique Loisirs… et je l'avais réellement dévoré ! Pourtant, ce n'était une fois de plus qu'un souvenir heureux, car j'avais lu ce roman-là à cette époque où je reprenais peu à peu goût à la lecture après une longue période sans livres, et je n'écrivais pas encore le moindre mot sur mes lectures ni ne donnais la moindre note…
Tout ça pour dire que je ne suis certainement pas le mieux placée (si tant est qu'on ait besoin d'être « bien placé » pour écrire un commentaire) pour apprécier ou pas un texte que l'on découvre ainsi dans sa forme la plus brute.
Or, il est indéniable que, à travers ces quelques pages, qui plus est très aérées (et pour cause ! la mise en page d'une pièce de théâtre n'est jamais aussi dense qu'un roman), si bien qu'on les lit vraiment très vite, l'auteur fait passer un message très fort, très en faveur d'un meilleur accueil pour les réfugiés de tous ces pays en guerre, tout simplement parce qu'ils sont humains.
Je ne vais pas faire le relevé de tous les arguments, apparemment pesés et étudiés, qu'il avance de-ci de-là, notamment à travers le personnage de Jeanne, la journaliste, tandis qu'il lui oppose le vieux militaire qui a « fait » (entre autres) le Mali et qui penche indéniablement à droite, malgré le fait qu'il a adopté – oserait-on dire « acheté » ? - un enfant pauvre à Mayotte, alors qu'il y était en poste, convaincu qu'il n'est « pas raciste », pas lui voyons !… L'auteur dénonce aussi le véritable parcours du combattant que représente le chemin vers l'acquisition d'une carte de séjour pour tous ces immigrés, se moquant au passage de toutes ces abréviations que personne ne comprend. Une spécialité française qui nous fait parfois rire, nous les Belges qui n'avons pas aussi fort cette tendance à donner des sigles à tout-va… mais cela n'empêche pas de se poser tout à coup des questions sur notre politique d'immigration, en Belgique ou en Europe – le « problème » étant devenu européen depuis bien longtemps – mais il subsiste des disparités locales, dont cette fameuse « jungle » de Calais, tristement célèbre jusqu'à Bruxelles, qui sert de point de départ à nos protagonistes.
On se rend compte, tout à coup, qu'en fait on ne sait pas grand-chose de ce parcours (à moins d'y être impliqué d'une façon ou d'une autre), et on en ressent une vague culpabilité, à peine atténuée par le sentiment que le parti-pris de l'auteur manque peut-être de discernement.
Eh oui ! c'est là, à mon sens, la principale faiblesse du livre : l'auteur joue pas mal avec les clichés, tous bien présents dans « l'inconscient collectif », et cela présente un petit danger qui m'a bien un peu gênée. En effet, indépendamment de mes idées sur la question (qui n'ont de toute façon pas lieu d'être développées dans un commentaire de livre), j'ai quand même ressenti une grande partie de cette pièce comme un discours quelque peu gauchiste, même pas masqué car l'auteur l'avance lui-même dans une réplique pleine d'auto-dérision ! Or, comme ses affirmations et autres suggestions ne sont étayées par rien, si ce n'est une invitation à aller voir les chiffres de l'OCDE, un certain doute subsiste toujours. Il faut bien dire que ce choix de ne donner aucune référence explicite (un lien url ou que sais-je) est ambivalente : l'auteur part-il du principe que son public est intelligent et ira vérifier par lui-même, ou bien se dit-il que, de toute façon, il n'ira pas voir, et donc autant raconter n'importe quoi du moment que ça secoue ? Car indéniablement, il a voulu provoquer le lecteur qui, à moins d'être lui aussi aveuglément convaincu par toutes ces idées pleines de bons sentiments sur l'immigration, pourrait se sentir peu à peu mal à l'aise.
Heureusement,
Alexis Michalik n'en a pas oublié d'être un conteur d'histoires, et en plus talentueux, pas seulement un pseudo-messager pour une meilleure politique d'immigration ! Son retournement de situation, vers la fin du livre, est complètement inattendu, et pourtant tout à fait cohérent… et on se prend au jeu, tout à coup on est remué autant que ses personnages, pour moi particulièrement Yasmine, qui est sans doute l'une des plus sympathiques et touchantes dans toute l'histoire !
Et surtout, cela recentre le lecteur, qui garde certes tout le discours préalable en tête, mais peut alors laisser s'évacuer cette tension malaisante entre sa propre perception, ses propres convictions, pour se poser la vraie question : qu'est-ce que l'identité ? Qu'est-ce qu'un homme ?