Quand j'étais Théodore Seaborn

" Mes épaules commencent alors à tressauter, mes sanglots déchirent le silence. Je pleure sur mon sort et sur celui de Mohamed. Je pleure. Combien de gamins sont morts pour les idées de leurs pères? "

J’ai enfoui mon visage dans mes paumes. Je songeais avec mélancolie à ces moments que je ne passerais pas avec elles, à ces vacances à la plage que nous ne prendrions pas, aux premières dents branlantes de Jade, à qui je ne pourrais pas proposer mon aide pour les retirer, et aux mille autres premiers pas dans sa vie dont je ne serais jamais témoin.
Mes pensées gonflées d’inquiétude se tournaient vers Phoebe, que j’avais entraînée dans cette histoire et qui se retrouvait en danger par ma faute, lorsqu’un bruit m’a fait tressaillir.

Ils arrivent à un virage serré. Pour réussir à le prendre, Ammar doit ralentir l’allure. Et c’est là que l’irréparable se produit. La jeune femme voit un panache de fumée se découper dans le cadre d’une fenêtre d’un immeuble voisin et un trait blanc arriver à toute vitesse sur eux.
- Attention, Ammar ! Tourne !
Trop tard. Une déflagration assourdissante fait faire un tête-à-queue au véhicule. Une boule de feu embrase l’habitacle. Ils ont été atteints par un tir de roquette.

À côté du canapé, posé sur une table d’appoint, il y avait un cadre qui contenait un portrait de ma mère et de Nayla pris au Liban. Le Liban de mon enfance. Le regard de maman m’a tout à coup semblé chargé de reproches. Je sentais le sang battre à mes tempes et j’avais mal partout, au cœur, au crâne, au ventre.
Verrouillé, déverrouillé. Verrouillé, déverrouillé.
Cette fois, j’ai été incapable d’approcher le pistolet de mon visage, comme si une force invisible bloquait mes mouvements. J’ai reposé l’arme sur mes genoux.
« Pathétique… Même ça, tu en es incapable. »

Mon œil est revenu se fixer sur le visage de ma fille, qui m’observait avec tendresse. Son joli minois flottait à présent à quelques centimètres du mien. Caressant mes cheveux, Jade murmurait d’un ton compatissant :
- Tu es encore fatigué ? Repose-toi, papa. Chut, chut, chut…
L’air était sec dans la chambre, et mes narines picotaient. Sentant que j’allais éternuer, j’ai étiré le bras vers ma droite pour prendre un papier-mouchoir. Alors que ma main tâtonnait entre les flacons d’anxiolytiques, d’antidépresseurs et de somnifères, j’ai heurté par mégarde un verre d’eau posé sur ma table de nuit.