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Citations sur La Nuit remue (125)

LES YEUX

Des yeux lourds, des yeux ternes d'où sortaient les mites, des yeux à dentelles et à falbalas, des yeux à pendeloques, des yeux pleins d'écume en train de se raser (la partie droite déjà nette, rasée de près, et bonne à poudrer); les yeux explosibles dont tous les autres s'écartaient vivement, criant « poudre! » sans un mot de plus, les yeux volatiles qui partaient au moindre vent pour des pays lointains, et leurs amis s'accrochaient vainement à eux, en les implorant, emplissant le lieu d'une lamentation telle que l'on se serait cru sur Terre.
Les yeux aquatiques où l'épinoche fait son nid, l'œil saugrenu, l'œil à peigne, l'œil trombone, l'œil à soufflets, et partout des carcasses d'yeux vidés par les oiseaux de nuit, des dépôts d'yeux frais qu'on venait de sortir des caves, les yeux malheureux se frottant d'une craie toujours renaissante, les yeux bouleversants de vide-poches, des yeux cadenassés où n'entre rien, et les yeux secrets qui vivent dans les mares.
De grosses bandes d'yeux échassiers poursuivaient les yeux ronds et courts sur pattes, les boulant vivement devant eux, jusqu'à les faire se prendre au loin, tout d'un coup, dans une ligne de barbelés qu'on n'avait pas vue et qui stoppait tout. Comme le bêlement d'un mouton qui est fort, mais qui s'arrête quand le loup est là.
Tout ça est bon pour la marmite, criait à ce moment la voix.
Les yeux étaient enlevés, la plaine était balayée, la plaine redevenait nue.
Puis, petit à petit, elle se repeuplait; d'yeux toujours différents, de races nouvelles; de toutes les structures, des fignolés comme des minarets, des pleins comme des tambours, des rouges comme des cerises, de toutes sortes, emplissant la plaine rapidement, à petits bouillons, puis tout d'un coup, à nouveau : Tout ça est bon pour la marmite, disait la voix.
Et la plaine était immédiatement léchée et lisse, et prête à être réensemencée.
Ah! cette nuit!
Le rythme surtout était étonnant. « Grande foule », puis pftt... rien, la plaine comme une dalle, puis ça renaissait... Mais un temps strictement mesuré et implacable s'accomplissant les fauchait d'un coup jusqu'au dernier.

p.164-165
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LES YEUX

Là je vis les véritables yeux des créatures, tous, d'un coup; enfin!

Il y avait là des yeux grimpeurs,

Il y avait les yeux planteurs et attentifs qui circulaient sur de hauts pédoncules, des yeux gourmands bourrés de marrons, des yeux comme des péritoines, enfin, à l'écart, toujours fins et fignolants, des yeux de lotus jolis à ravir.
Des yeux cornés qui y allaient carrément, et se buter contre un mur n'était pas pour les effrayer; des yeux à cinq rangs de paupières qu'ils abaissaient successivement en les comptant suivant l'hommage plus ou moins important qu'ils devaient à chacun; les yeux de velours, les yeux poilus, l'œil-aluminium de l'avenir, l'œil eunuchoïde écœurant et à poches; les yeux innombrables des Flises reines-marguerites de la vision; l'œil monté sur botte (il bascule lentement comme un gyroscope et est englué dans une sorte de séreuse); les yeux à clous qui se blessent eux-mêmes continuellement, les yeux des Bélines qui ne songent qu'à se tremper, à faire de l'eau et à mouiller tout ce qui est en dessous; les yeux des Corvates, tout en dents et qu'il faut engraisser sans relâche, les yeux écornifleurs qui ne vivent que sur les sentiments des autres, les yeux concaves, les yeux à la prunelle conique, les yeux empierrés, les yeux mères et d'autres qui allaitaient déjà.
Certains étaient gros comme des ballons de football, d'autres très hauts sur pattes, d'autres pas plus gros que des yeux de fourmis.
Tout ça est bon pour la marmite, dit une voix.
La plaine fut aussitôt raclée et nettoyée et plus rien ne subsista, que le sol obscur qui était de l'argile. Puis, un peu après, d'autres yeux se mirent à apparaître. Ils affleuraient d'abord timidement. Bien vite, ils furent nombreux.

p.162-163-164

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LA NUIT REMUE
1

Tout à coup, le carreau dans la chambre paisible montre une tache.
L'édredon à ce moment a un cri, un cri et un sursaut; ensuite le sang coule. Les draps s'humectent, tout se mouille.
L'armoire s'ouvre violemment; un mort en sort et s'abat. Certes, cela n'est pas réjouissant.
Mais c'est un plaisir que de frapper une belette. Bien, ensuite il faut la clouer sur un piano. Il le faut absolument. Après on s'en va. On peut aussi la clouer sur un vase. Mais c'est difficile. Le vase n'y résiste pas. C'est difficile. C'est dommage.
Un battant accable l'autre et ne le lâche plus. La porte de l'armoire s'est refermée.
On s'enfuit alors, on est des milliers à s'enfuir. De tous côtés, à la nage; on était donc si nombreux !
Étoile de corps blancs, qui toujours rayonne, rayonne ...

p.9
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ENCORE UN MALHEUREUX

Il habitait rue Saint-Sulpice. Mais il s'en alla. « Trop près de la Seine, dit-il, un faux pas est si vite fait »; il s'en alla.
Peu de gens réfléchissent comme il y a de l'eau, et profonde et partout.

Les torrents des Alpes ne sont pas si profonds, mais ils sont tellement rapides (résultat pareil).
L'eau est toujours la plus forte, de quelque manière qu'elle se présente. Et comme il s'en rencontre de tous côtés presque sur toutes les routes... il a beau exister des ponts et des ponts, il suffit d'un qui manque et vous êtes noyé, aussi sûrement noyé qu'avant l'époque des ponts.
« Prenez de l'hémostyl, disait le médecin, ça provient du sang. »
« Prenez de l'antasthène, disait le médecin, ça provient des nerfs. »
« Prenez des balsamiques, disait le médecin, ça provient de la vessie. »
Oh ! l'eau, toutes ces eaux par le monde entier!

p.140
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JE SUIS GONG

Dans le chant de ma colère il y a un œuf,
Et dans cet œuf, il y a ma mère, mon père et
mes enfants,
Et dans ce tout il y a joie et tristesse mêlées, et
vie.
Grosses tempêtes qui m'avez secouru,
Beau soleil qui m'as contrecarré,
Il y a haine en moi, forte et de date ancienne,
Et pour la beauté on verra plus tard.
Je ne suis, en effet, devenu dur que par lamelles ;
Si l'on savait comme je suis resté moelleux au
fond.
Je suis gong et ouate et chant neigeux,
Je le dis et j'en suis sûr.

p.177
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ICEBERGS

Icebergs, sans garde-fou, sans ceinture, où de
vieux cormorans abattus et les âmes des mate-
lots morts récemment viennent s'accouder aux
nuits enchanteresses de l'hyperboréal.

Icebergs, Icebergs, cathédrales sans religion
de l'hiver éternel, enrobés dans la calotte gla-
ciaire de la planète Terre.
Combien hauts, combien purs sont tes bords
enfantés par le froid.

Icebergs,Icebergs, dos du Nord-Atlantique,
augustes Bouddhas gelés sur des mers incon-
templées, Phares scintillants de la Mort sans
issue, le cri éperdu du silence dure des siècles.

Icebergs, Icebergs, Solitaire sans besoin, des
pays bouchés, distants, et libres de vermines.
Parents des îles, parents des sources, comme je
Vous vois, comme vous m'êtes familiers...

p.89
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L'éther. 
Là, en trois secondes, ses forces, il n'en est plus question. Et, chaque seconde il descend encore, pour atterrir à un palier incommensurablement plus bas que celui de la seconde précédente. En moins d'une demi-minute l'effondrement des réserves est total. 
Couché au fond d'un silo instantanément creusé à des kilomètres de profondeur dans l'écorce terrestre, il gît seul dans son tombeau profond. Là, eau battante, enfin délivré d'être le maitre,b le centre de commandement, l'état-major ou le subalterne, il n'est plus que la victime bruissante et répercutante. Il cesse aussi de patrouiller. Des pensées en écho déferlent en lui. Mais même à ses échos il ne peut faire face. S'il a froid, il pense aussitôt qu'il pense avoir froid, puis il se voit penser qu'il pense avoir froid; à peine s'est-il émerveillé de se voir penser toute cette série qu'aussitôt il se voit s'émerveiller, puis assiste au spectacle de se voir s'émerveiller de voir qu'il pense qu'il se voit penser qu'il a froid et ainsi toujours en retraite, jamais plus lui, mais derrière lui, à s'observer, il peut enfin se croire perdu. 
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Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,
Sur les tapis des paumes et leur sourire,
Dans les corridors des os longs, et des articulations.
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Carcasse, où est ta place ici, gêneuse, pisseuse, pot cassé ?
Poulie gémissante, comme tu vas sentir les cordages tendus des quatre mondes !
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Un chiffon

On ne m'invite plus dans le monde. Après une heure ou deux (où je témoigne d'une tenue au moins égale à la moyenne), voilà que je me chiffonne. Je m'affaisse, je n'y suis presque plus, mon veston s'aplatit sur mon pantalon aplati.

p.104
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