Des grives aux loups, tome 2 : Les palombes ne passeront plus

Tu es belle, j'aime tes rides et je les connais toutes, elles sont tes décorations à toi. Celle-là, dit-il en caressant un petit sillon à la commissure des lèvres, c'est la première, elle date de 17, quand je suis reparti au front, et ma blessure de 18 l'a creusée un peu plus. Celles-là, ce sont celles des enfants, des soucis qu'ils t'ont donnés. Là, murmura-t-il en posant son doigt au milieu du front, c'est celle de Paul, la plus profonde...

Ainsi à ce jour, Saint-Libéral qui, soixante-dix ans plus tôt, regroupait presque 1100 habitants n’en totalisait plus que 322. Déjà, malgré les protestations et les interventions de Jacques – toujours conseiller général – l’administration avait prévenu que le bureau de poste serait fermé dès janvier 1969.

Hurler oui, parler non.
Hurler comme une folle, sans retenue, parce que ça soulage un peu et surtout parce qu'on ne peut pas faire autrement.
Parce que l'eau infâme de la baignoire vous étouffe, vous noie, fait exploser dans votre crâne des milliers d'étoiles qui vous lacèrent le cerveau, pendant que l'eau, pleine de vomissures et de sang, s'insinue dans vos poumons, les corrode, les écrase.
Hurler enfin, hurler toujours, mais ne pas parler, jamais, ne rien dire.
Faire de chaque minute gagnée un siècle de victoire, de chaque seconde à se mordre les lèvres un combat remporté (...).
Mais se taire, se taire absolument, toujours, jusqu'au bout, jusqu'à la fin.
Et se prouver ainsi, et leur prouver à eux, qu'on est la plus forte, la plus solide, la meilleure. Et que jamais ils ne parviendront à briser ce mur, cette muette citadelle dont les cris ne sont que silence.

Ils couraient, vifs et silencieux comme ces rapiettes dont le preste trottinement zèbre d’un éclair gris les vieux murs ensoleillés.

Christi ! Ici, en haut de ce puy, on est en plein ciel. On n’a pas besoin de lever les yeux pour regarder les nuages, ils ne vous écrasent pas comme chez nous. Ici, on les domine. On domine tout d’ailleurs ! C’est ça qui vous a rendus si forts. Vous, les Vialhe, de naissance vous êtes habitués à tout voir de haut, même le ciel.

Eux, ils étaient de vieilles familles, de bonne éducation, de race. Déjà, ils avaient leur place dans la petite chapelle de la bourgeoisie briviste. Lui n'était qu'un cul-terreux, un glaiseux qui, en bonne logique, n'aurait jamais dû quitter sa charrue au cul de ses vaches!

Il l'attira contre lui, caressa ses cheveux.
- Va, dit-il, bientôt ce sera fini. Ils reviendront, tous, Jacques, Paul, Berthe, Félix, la guerre ne va pas durer. Ou alors elle nous tuera tous.

Ben ça promet, lança un des hommes, si la lumière est coupée chaque fois qu’un nuage fait un pet de travers, c’était pas la peine de nous faire faire tous ces frais !

Le printemps pépiait dans le moindre buisson où s'égaillaient les traquets, les pouillots, les fauvettes, il chantait sur les puys, les coteaux et les bois qui entouraient le village de saint-libéral.
Et à l'appel incessant des coucous répliquait la lancinante mélopée des huppes.

Qu'est-ce qu'ils veulent ces types? Quarante heures de travail par semaine, des congés! Bon Dieu, qu'ils viennent faire un tour ici, ils verront bien si on ne travaille que quarante heures! Moi, leurs quarante heures, je les fais en trois jours, et ta tante aussi! C'est pas pour ça qu'on réclame des congés, ensuite!.. ce que je ne comprends pas, c'est qu'ils soient tous à demander davantage de sous et moins de travail. Moi, pour gagner plus, c'est toujours le contraire qu'il a fallu que je fasse.