Citations sur Vies Minuscules (91)
Avançons dans la genèse de mes prétentions.
J'imagine un soir d'hiver; une paysanne jeunette en robe noire fait grincer la porte du buffet, en sort un petit cahier perché tout en haut, "le cahier d'André", s'assied près de l'enfant qui s'est lavé les mains. Parmi les palabres patoises, une voix s'anoblit, se pose un ton plus haut, s'efforce en des sonorités plus riches d'épouser la langue aux plus riches mots. L'enfant écoute, répète craintivement d'abord, puis avec complaisance.
A leur recherche (celle des morts) pourtant, dans leur conversation qui n'est pas du silence, j'ai eu de la joie, et peut-être fut-ce aussi la leur; j'ai failli naître souvent de leur renaissance avortée, et toujours avec eux mourir ; j'aurais voulu écrire du haut de ce vertigineux moment, de cette trépidation, exultation ou inconcevable terreur, écrire comme un enfant sans parole meurt, se dilue dans l'été : dans un très grand émoi peu dicible. Nulle puissance ne décidera que je n'y suis en rien parvenu. Nulle puissance ne décidera que mon émoi en rien n'éclata dans leur coeur.
Un autre jour paraît. Il faut encore faucher, par exemple, le pré du Clerc, qui n'est qu'une pente, une combe de brouillard dans le souffle noir des sapinières, vers le col de Lalléger ; on y entend une seule faux : des grives débusquées trouent la brume, des injures brusques sortent de terre, à peine suspendue la faux invisible retombe.
D’autres lettres vinrent, annuelles ou bisannuelles, retraçant d’une vie ce qu’en voulait dire son protagoniste, et que sans doute il croyait avoir vécu : il avait été employé forestier, coupeur de bois, planteur enfin ; il était riche.
Une vie sans conséquence a coulé entre pomme et machette, chaque jour davantage émoussant le goût de l'une et le tranchant de l'autre.
J'imagine un soir d'hiver; une paysanne jeunette en robe noire fait grincer la porte du buffet, en sort un petit cahier perché tout en haut, "le cahier d'André", s'assied près de l'enfant qui s'est lavé les mains. Parmi les palabres patoises, une voix s'anoblit, se pose un ton plus haut, s'efforce en des sonorités plus riches d'épouser la langue aux plus riches mots. L'enfant écoute, répète craintivement d'abord, puis avec complaisance.
Il toucha des manuels d'arithmétique, de géographie, [...] ; il les ouvrit et connut la détresse de qui ne comprend pas, la révolte qui passe outre, et, au terme d'une alchimie ténébreuse, le pur diamant d'orgueil dont l'entendement éclaire, le temps d'un souffle, l'esprit toujours opaque. (p.18)
A leur recherche pourtant, dans leur conversation qui n'est pas du silence, j'ai eu de la joie, et peut-être fut-ce aussi la leur ; j'ai failli naître souvent de leur renaissance avortée, mais toujours avec eux mourir ; j'aurais voulu écrire du haut de ce vertigineux moment, de cette trépidation, exultation ou inconcevable terreur, écrire comme un enfant sans parole meurt, se dilue dans l'été dans un très grand émoi peu dicible.
L'écrivain une espèce plus avide de se perdre que l'explorateur.