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Critique de GaletteSaucisse


Allez, c'est vendredi, ça fait longtemps que je n'ai pas écrit autre qu'une dissertation sur la politique chilienne pendant la Guerre Froide, donc je prends ma belle plume que je dédie cette fois-ci à…

Marlène Schiappa !

Mais comment ai-je pu, moi, fervente admiratrice de Brassens et Cavanna, tomber aussi bas ?

Très simple.

En ce moment, je m'ennuie terriblement. Mes amis sont studieux et préfèrent leurs fiches Bristol à ma compagnie, mon chien Philippe joue à passer le plus grand nombre d'heures consécutives à dormir, et Philippe Martinez n'a pas répondu à mon mail complimentant ses moustaches. Seul Monsieur Kerdoncuff prend mon désoeuvrement avec beaucoup d'importance, mais je crois que c'est parce qu'il veut que je garde ses plantes la semaine prochaine.

Désoeuvrée et incertaine, telle un de ces soldats sans armes dont parle Aragon, je décide de passer dire le bonjour à mon ami Caillou – qui s'appelle Pierre mais j'aime l'humour.

Après les questions conventionnelles comme « Comment qu'ça va ? » et « T'as mangé quoi ce midi ? », on en vient très vite au jeu du « Chiche de... ».

Et mes profs au collège qui disaient que j'étais mature…

S'il y a un jeu auquel il ne faut pas jouer avec moi, c'est bien ça.

- Chiche de citer Anne Sylvestre dans une composition d'histoire ?

Chiche. « Priez pour la terre », histoire de rappeler l'héritage des guerres en tout genre. Monsieur Quiévreux avait validé.

- Chiche de placer le mot « chibre » dans ta dissert' sur la modernité poétique ?

Chiche. Apollinaire est mon ami. J'avais même reçu les félicitations de Monsieur Chabance.

- Chiche d'apprendre l'Internationale en esperanto et de la chanter devant ton père ?

Chiche. Il a même félicité mon « délicieux accent qui rendrait presque beau cet ignoble chant communisse ».

- Et chiche de lire les romans érotiques de Marlène Schiappa ?

Là, j'ai répondu moins vite.

- Si je ne débourse pas un seul centime pour son acquisition, non seulement je le lis, mais en plus je lui consacre une chronique.

Sur ces entrefaites, Caillou l'a commandé.

Et me voici donc, une semaine plus tard. Je rends visite à mon cher papa, allongée sur le canapé avec mon chien Philippe en guise d'oreiller

(Ne gueule pas à la maltraitance, il a l'air d'apprécier.)

Papa émerge de son guide pour arrêter la clope selon Allen Carr (car Papa a pris de bonnes résolutions, surtout depuis qu'il a vu son cardiologue), et il s'enquiert de mes aventures livresques :
- Tiens, tu t'es remise à la lecture ?
- Faut bien. Sinon mon honneur est souillé. Déjà qu'il fait grise mine...
- Et c'est quoi, cette fois-ci ? Un autre de tes torchons d'anar' de mes deux ?
- Non, un essai sur les relations entre hommes et femmes de différents milieux sociaux.
- Oh, Michel Wieviorka ?
- Non, Marlène Schiappa.

Inutile de préciser, mais en général, dire que tu lis Schiappa à ton père fan de Pascal Praud qui vient d'acheter le dernier livre de Zemmour, même pour un pari, ça tend au reniement.
- Putain, toi et tes idées de gauchiasse...
- Hé, n'empêche que ça t'a bien fait marrer de chanter Craonne avec moi, hier soir.
- J'avais bu, ça compte pas. Et t'en as fait quoi des bouquins de Raspail que je t'ai offerts ?
- Ils sont dans ma bibliothèque. Entre un recueil de chroniques de Renaud parues dans Charlie et un essai sur les Kurdes de Turquie que m'a conseillé Monsieur Gunes.
- le Kurde qui dit que tous les problèmes en France viennent des Arabes mais qui chante l'Internationale et veut t'emmener à la fête de l'Huma ?
- Lui-même.
- Et qui t'explique que la cause des persécutions sur les Kurdes, c'est une histoire de moustaches ?
- Exactement.
- Galette, tu es irrécupérable.
- Fallait pas me mettre dans le public, aussi.
- Attends, répète un peu, pour voir ?

On aurait pu continuer comme ça encore longtemps, mais ma belle-mère arrivée en courant dans la pièce (Philippe a sursauté) m'a intimée l'ordre d'arrêter avec ces débats stériles, sinon le coeur de Papa allait lâcher.

J'ai répondu que tout irait bien, puisqu'elle hériterait quand même. Mais de peur d'essuyer une injure mettant en doute ma vertu, je suis partie lire dans le parc. Avec Philippe, ça va de soi.

En une heure, j'avais terminé ce pur chef-d'oeuvre de la littérature érotique française.

A présent, j'ai le derrière posé sur une chaise, et je t'écris cette magnifique chronique au lieu de rédiger ma dissertation sur les relations diplomatiques entre pays démocratiques et régimes autoritaires, à rendre pour demain matin bien entendu.

(Monsieur Gunes avait tenu à m'aider, mais ça ressemblait plus à un catalogue de massacres en tout genre qu'à un devoir.)

Mais ça, tu t'en fous, tout ce que tu veux, c'est que je boulotte du ministre-écrivaillon. Car vu la note, tu sais qu'on va puter sévère aujourd'hui.

Alors, l'histoire ?

C'est une fille, Sarah, fille de parvenus super jolie genre mannequin, qui t'explique que son gros phantasme, c'est les messieurs qui vivent à la Courneuve place du 8-mai-1945.

Qu'à cela ne tienne, je ne jugerai pas : mon phantasme à moi, c'est Philippe Martinez déguisé en canette de Kronembourg qui me susurre à l'oreille le programme du Parti Radical de Gauche en esperanto. Chacun ses délires.

Alors, je rectifie quand même un peu, mais disons que ce qu'elle aime, Sarah, c'est les messieurs un peu typés.

Oui, ça va être dur de rédiger ce billet sans sombrer dans la politique et passer pour une grosse colonialiste, ce que je ne suis pas même si j'aime bien le maréchal Gallieni. Baste.

Exemple très concret :

Sarah est partie faire du ski (tu te doutes bien que c'est pas à Isola2000...), et au bout d'une demi-journée de descentes et de pistes vertes – c'est ma condescendance qui parle, dis-lui bonjour –, Sarah a mal aux tétins.

Ouais. Bon, je ne tergiverserai pas là-dessus. Avoir mal à la jambe à cause d'une fracture tibia-péroné, ça m'est arrivée, mais mal aux seins à cause du ski, non, jamais. Peut-être aussi est-ce parce que je ne suis qu'une galette-saucisse.

Du coup, comme Sarah a mal aux seins, elle décide de se faire masser dans un spa.

Là, elle voit qu'une autre nénette se fait masser à côté d'elle, et pas que masser, puisque ça commence à déraper en léchouilles et autres petits plaisirs qu'Emma Bovary préfère expérimenter dans un fiacre.

Je tâcherai aussi de rester soft, mais ça va être dur.

Les léchouilles étant ce qu'elles sont, les anges commencent à soupirer, et paf, parité oblige, c'est au tour du masseur – un grand Noir, mais Suisse, parce que sinon ça tendrait à dire que c'est un mec pas déclaré, genre prostitué mâle servant les riches dames –, c'est au tour du masseur, dis-je, de se faire faire un peu de plaisir.

Scène que je ne développerai pas plus que ça, si tu veux t'exciter le burnous, va regarder un bon film avec Harry Reems et arrête de m'emmerder.

Je préciserai néanmoins la présence de bruits de type « ploc ploc » (sic), qui font qu'à présent, quand je vois tomber la pluie, ce n'est plus Brassens et son p'tit coin d'parapluie que j'ai en tête, mais une donzelle en pleine fellation avec un masseur suisse-mais-bon-c'est-un-peu-flou.

Après peut-être est-ce parce que je suis toujours pure (tiens, ah bon ? J'savais pas) que les ploc ploc évoquent plus pour moi des gouttelettes sur les carreaux d'une fenêtre que des gouttelettes sur… sur…

Bon, passons.

Et donc, tout le livre, c'est ça. Ça et les déboires conjugaux de Sarah avec son presque mari, Amaury je crois qu'il s'appelle, mais j'ai envie de l'appeler Jean-Eudes et si tu n'aimes pas, sache que je t'emmerde, Jean-Eudes donc, qui bande mou. Même Monsieur Kerdoncuff a plus de vigueur.

Monsieur Kerdoncuff qui, pour les rares intéressés par les exploits d'un Don Juan de quatre-vingt-huit ans, est officiellement passé de trois jeunes femmes par semaine à quatre. En même temps. Toujours différentes. Cet homme me sidère.

Donc voilà. Il y a plein d'autre scènes de fesses, sinon ça ne serait pas un roman érotique, même si j'ai trouvé que Hardellet était bien plus excitant que Schiappa. Mais si je dis ça trop fort, on va dire que je suis misogyne et que je ne lis que des mâles blancs cisgenres, et je vais encore me faire engueuler.

En somme, j'ai eu l'impression de regarder un très, très mauvais film érotique.

Les rares fois où je me suis aventurée sur le sentier tortueux du monde de la pornographie (putain, que cette phrase est longue...), ce n'était jamais dans un but de m'abandonner aux plaisirs de l'excitation en solitaire.

Soit c'est trop violent, soit c'est trop ridicule.

Les scénarios sont incongrus. Si, si. Soit ça tombe de l'inceste dégueulasse avec la mère au ventre flasque et aux seins en gant de toilette qui va réveiller son boutonneux de fils parce que « Papa est parti au bureau et moi j'ai envie de baiser ».

Ou bien, c'est un vieux monsieur qui regarde tranquillement son match de base-ball et qui finit par être contraint de se faire sucer par une jeunette (« No, plise, no, Aïe donte wante tou ave feuque ouize you naho, plise »).

Quand ce n'est pas l'élève coquinou qui ramène un gros zizi en plastique pour demander le fonctionnement de la chose à sa maîtresse.

(Maîtresse qui fait cours en porte-jarretelle, hein, ça va de soi. Comme quoi Papa a raison : le public c'est bien de la merde, moi, mes profs faisaient cours en polaire. Ou en velours côtelé, mais Chabance s'est toujours trompé de public.)

Et désolée, mais ça ne m'excite pas des masses, le côté cuir-moustache. Je préfère moustache tout court.

Ici, Marlène – car à la base je parlais bien de sa merde littéraire -, Marlène dis-je, nous offre un roman érotique au scénario aussi vide que tout ce que je viens de mentionner. Donc, à choisir, si tu as absolument envie de conter fleurette à la veuve Poignet, lis Hardellet, c'est bien mieux écrit et beaucoup plus excitant.

Baste.

Une heure plus tard, j'ai donc fini cette grosse daube.

Là, se pose dans mon petit cerveau de galette-saucisse une grande question : Que faire d'un étron pareil ?

En général, après avoir lu un livre, même si je ne l'ai pas aimé, je le laisse dans ma bibliothèque. Mais quand j'ai compris que, alphabétiquement parlant, Jean Raspail aurait comme nouvelle voisine une telle horreur (j'attaque le livre, pas l'auteuresse, hein…) j'ai eu pitié, et je l'ai rendu à Caillou.

Caillou qui, maintenant, se sert d'un roman érotique comme mouchoirs.

Et voilà, la boucle est bouclée.
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