La puissance des mots est chose terrible quant elle est autant imbibée de charge émotionnelle, et ne peut laisser indemne le lecteur sensible à la tragédie si commune de l'existence.
Ces hommes (et ces femmes...) que nous croisons quotidiennement font partie de notre environnement et ils ne sont, le plus souvent, que l'ombre du néant de notre déni social, que le reflet d'une peur inavouée, celle d'une déchéance qu'il faut ignorer, comme contagieuse, reflétant comme un miroir notre malaise et notre inconsistance à vivre en communauté.
"
Un homme" de
Christina Mirjol, extraordinaire auteure, possédant une plume si rare pour exprimer l'expression populaire et touchant sans compromis le plus profond de notre âme, à l'image de "
Suzanne, ou le récit de la honte" paru en 2007 chez Mercure de France, décrit merveilleusement le ressenti d'
un homme luttant pour vivre sa vie de minute en minute, sans aucun espoir d'avenir ni amertume envers la société. Et pourtant...
C'est le véritable trait de génie de cette fiction, proche du documentaire sociologique et sans vraiment d'intrigue, qui transmet un véritable cri de détresse sur un phénomène de société qu'il faut, d'abord, (re)connaître.
Il est flagrant de constater que nos yeux s'ouvrent, généralement, quand nous sommes indirectement touchés par les évènements. Ici, le froid glacial, difficilement vécu par un couple "ordinaire", résonne de manière symbolique à la vue d'un sans-abri mal équipé pour s'en prémunir, et l'esprit s'affole devant la découverte des conditions d'existence inhumaine de cette population, sous l'oeil (trop) indifférent de la société.
Le tour de force de l'écrivaine n'est pas tant de souligner cette indifférence mais d'humaniser ce marginal, de lui donner vie au travers de son monologue, de montrer sa défiance légitime et sa peur des hommes, de ses congénères, de sa recherche de solitude pour vivre son épreuve à la hauteur de sa dimension, tout en dialoguant avec son caddie, être immatériel qui ne le trahira pas, comme le reflet de la meilleure part de lui-même.
Et dans cette détresse, une étincelle surgit et souligne une positivité démesurée, comme l'olivier renaissant sur les ruines fumantes d'Athènes, à la vue d'un oisillon picorant sur la neige verglacée, insufflant une poésie d'une violente beauté.
Les chefs-d'oeuvre sont fait de ce bois, de cette essence qui nous consume intérieurement longtemps et nous apportent les matériaux qui font de nous "
Un homme" meilleur.