Enfin je me suis décidé à lire
Vie à vendre, que j'avais laissé vieillir depuis plus de deux ans dans ma bibli comme un bon vin, à l'heure où il sort en poche ! Trop bête…Mais au bout de ces pages, que du plaisir ! Pouvait-il en être autrement avec Mishima ? Pour un lecteur occidental, s'il n'y a qu'un seul écrivain japonais à connaître, c'est bien lui, tant sa culture, son style, son ton sont universels et son oeuvre éclectique, romans, nouvelles, théâtre, sans oublier ses écrits d'introspection personnelle qui aident à comprendre la destinée tragique de cet homme controversé.
Sur le synopsis, la quatrième de couverture en dit beaucoup. Pour l'essentiel, Hanio, 27 ans, a échoué à se suicider (sans raison), et a décidé de vendre sa vie à toute personne, qui a priori l'entraînera dans une aventure le conduisant à la mort. Vont alors se succéder plusieurs acheteurs et acheteuses, qui vont surtout l'enrichir à défaut de le faire succomber. Car ces plans sont foireux, et permettent surtout à Hanio de tester son potentiel de séduction auprès de ces dames, un vrai tombeur ! Entre Ruriko la femme de petite vertu, la femme-vampyre qui lui pompe sang et énergie et Reiko la femme-junkie qui lit dans ses pensées, sans compter son petit coup vite fait avec une infirmière qui vend ses charmes, notre homme est très demandé ! Mais c'est aussi un homme en danger et surveillé, par des agents d'une mystérieuse organisation.
Au fil des jours passés successivement avec ces dames qui, pour une raison ou une autre, ne parviennent pas à l'entraîner dans la mort, le doute s'insinue en lui. Sur sa porte d'appartement la pancarte est de plus en plus souvent retournée : ce n'est plus forcément «
Vie à vendre » mais « Rupture momentanée des stocks », Monsieur préférant se reposer de son désir de mourir, qui s'étiole peu à peu…
Rompant avec le style d'autres de ses romans plus psychologiques, ou plus romantiques, ce roman nous propose un rythme enlevé. Les chapitres sont courts, et le ton de Mishima est badin, malin, humoristique. On se surprend souvent à sourire, voire à rire aux aventures de ce personnage séducteur, machiste et faussement naïf, évoluant dans un univers piégé. Immergé dans ce nid d'espions, il y a quelque chose d'OSS 117 chez Hanio, et c'est bien réjouissant !
On a en première impression du mal à deviner que ce Mishima déjà tardif, de 1968, n'est qu'à deux ans de perpétrer son coup d'éclat fatal. Pourtant, derrière la façade de ce ton souvent léger, la mort est omniprésente. D'abord désirée, sa gravité en est relativisée. Mais elle étend son emprise sournoise au fil de l'évolution de l'état d'esprit du héros. Plus il commence à la fuir, plus elle tisse sa toile inquiétante comme la veuve noire guettant sa proie.
Si ce roman détonne dans la production de Mishima, et ne peut pas s'imposer comme un chef-d'oeuvre, son ambition première était de divertir, Gallimard a eu là une bonne initiative de le publier. Il contribue à montrer toute l'étendue du talent de l'écrivain japonais. Espérons que quelques autres de ces romans encore inédits en français attireront traducteurs et éditeurs, car à ce jour seuls environ un quart d'entre eux sont disponibles chez nous. Certes, ce sont probablement les meilleurs, mais il doit exister encore quelques pépites.
En conclusion, précipitez-vous sur la version poche, c'est l'assurance de passer un bon moment !