Je suis victime d’une mortelle maladie: l’espoir.
Vous m’aidez à accepter de me battre et de souffrir - et, par un obscur pressentiment, vous m’aidez à servir l’idée que je me fais du monde et des hommes, vous m’aidez à refuser un destin ordinaire.
Vous avez à mes yeux une disponibilité, une sensibilité, une pureté devant la vie et les êtres qui me donnent un nouvel élan, qui suscitent en moi un appel vers je ne sais quel approfondissement. Je n’essaie pas de vous gagner à moi. Je m’émerveille d’être gagné par vous et de retrouver ainsi, par votre jeunesse et votre clarté, ce que je n’ai pas moi-même oublié au creux de moi. Mon idéal était de vivre comme on doit mourir et de justifier ma vie par ma mort.
Si je me laissais aller je vous écrirais chaque jour car chaque jour j’ai quelque chose à vous dire. Et cela me paraît si normal que c’est peut-être très anormal!
Je crois possible, de toute ma volonté, de rester sur la route où nous sommes sans en dévier et en amassant les richesses du coeur et de l’esprit qui sont à notre portée.
Que font 3 Français (ou 25) dès qu’ils sont réunis? Des discours.
Les êtres n’ont pas de moyens directs d’échange. Il faut qu’ils passent par un intermédiaire: la beauté, le malheur, l’angoisse, le plaisir... Dieu parfois. Le langage est déjà moins sûr. Il colle trop aux personnages. Un paysage, un tableau, un chant - ou bien l’espérance, le désir, ou bien la plénitude sensuelle de l’amour sont l’instrument du musicien sans lequel il n’y a pas de musique.
La ferveur n’est pas en moi. Je me méfie d’elle et des déserts et des abîmes qu’elle laisse derrière elle. Je ne veux plus du mensonge des émotions spirituelles à fleur de peau, du guet-apens que dressent la peur et la mort.
Mais lumière, chaleur et joie ne viennentt d’aucun autre soleil que de celui qui nous habite. Et j’aime être avec vous. Tandis que je n’ai qu’un goût modéré pour ces échanges avec le public, toujours inconnu, qu’il faut convaincre avec des discours et des idées, tâche absurde quand on sait que seuls l’amour, les actes et l’exemple ont une force conquérante.
Ce n’est pas la mort qui m’étonne, qui m’enrage: on la rencontre à tous les carrefours; mais la haine.
Et la sottise. Et j’éprouve une sorte d’angoisse à les voir triompher, une fois de plus.