Car lorsque j’avance mon livre en panne d’une page, lorsque je classe ou ressors d’anciens papiers, lorsque je réfléchis à mes prochains actes politiques, lorsque je médite un argument, lorsque j’ouvre un livre, lorsque je me cale dans un fauteuil pour laisser la pensée filer à sa guise il me semble que je vous retrouve.
L’intensité qui vous condamne à tout aimer ou à tout haïr, à tout ressentir jusqu’à l’ivresse ou la blessure
Pourquoi vous écrire ? Je le désire depuis l’autre soir. J’aime vous parler, ou parler seul, à moi-même, tandis que vous êtes là, témoin, témoin critique, témoin ami aussi, je le crois. Vous m’avez accordé mardi une vraie joie. Je la prends comme elle est. Ne me la refusez pas seulement parce qu’il vous arrive de penser qu’il faudrait me la refuser.
Mais je peux parler pour moi et te dire que je t'aime. Voilà le grand mot est lâché. Je t'aime. Comment ? Je sais que tu ajouteras que je t'aime mal ou pas du tout. C'est ton affaire. Mais je t'aime, même mal, même pas du tout, mais je t'aime quand même.
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Que j'aurais aimé t'emmener dans cette Bretagne où le silence donne à l'âme sa véritable résonance.
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Quel que soit le décor j'imagine surtout le bonheur de te voir, de te surprendre à Lohia, de rester longuement près de toi, d'entendre la musique, ta musique que nous aimons, de respirer notre climat, d'écouter le silence vivre entre nous, de te lire, en commentant les passages qui me frappent, de beaux livres choisis, de rechercher ces mouvements imperceptibles de la tendresse qui racontent la plus merveilleuse aventure humaine...
J'ai essayé de m'absorber dans les devantures où dorment les beaux livres qui m'attirent comme d'autres le diamant au milieu de la tourbe.
On s'écrivait trop peu ces temps-ci sous l'effet de la commodité des communications. Écrire oblige à réfléchir entre les lignes, à former des mots qui prennent tout aussitôt un poids redoutable.
Après-midi (...) à la Fédération de l'Education n'a où je me trouve devant d'incroyables fossiles. La fin d'une certaine république. Les profs ! Ridicules, peureux, éloignés des sources de l'esprit dont ils se réclament.
Le soir Claude Estier est venu me chercher pour m'emmener à Fleury-en-Bière (près de Barbizon) où Gisèle Halimi recevait. Très belle propriété close, maison d'Ile-de-France typique, une compagnie conforme à ce que j'en attendais, avec ses tics assez prononcés. Gisèle Halimi est une avocate, quarante ans, assez belle, très douée, mi-arabe mi-juive (!), née à Tunis, femme de Claude Faux, jeune écrivain, trente ans, collaborateur et secrétaire de Sartre. Gisèle Halimi a été candidate de la Convention aux élections législatives dans le 15ème arrondissement. C'est le prototype de l'intellectuelle de gache avec tous les dadas de cironstance, mais aussi une forte personnalité.