Une nuit le narrateur est heurté par une automobile et est transporté à l'hôpital en compagnie de la conductrice, une jeune femme et d'un homme "brun massif".
Après un moment passé à l'Hôtel-Dieu, il se retrouve dans un autre hôpital d'où il sort, l'esprit embrumé mais avec l'intention de retrouver "la Fiat couleur vert d'eau" et la jeune femme qui l'a renversé.
A partir d'un banal accident,
Modiano amène son narrateur à faire une quête. D'abord une quête de lui-même dont le lecteur ignorera le nom tout au long du roman et sur son passé qui se recompose peu à peu comme un puzzle, que les évènements de son présent convoquent à nouveau: cette jeune femme est-elle la même que celle qui l'accompagnait dans une camionnette lorsque le même accident s'est produit alors qu'il était enfant?; et que dire de ce père que le narrateur rencontre brièvement et plus ou moins régulièrement dans des hôtels ou des cafés et à qui il n'a rien à dire et qui finit par disparaître comme un fantôme.
Car
Accident nocturne c'est aussi le roman de la brume, du non-dit, du manque de clarté... Les personnages ont tous un air mystérieux, pas au sens littéral mais du point de vue du narrateur : cette femme qu'il ne retrouve pas, ce "brun massif" qui lui donne de l'argent à la sortie de l'hôpital et qui plus tard refuse de le reconnaître, ce professeur Bouvière qui réunit un groupe d'étudiants dans un café et qui possède un charisme auquel le narrateur n'est pas sensible mais qui ailleurs se fait humilier par une femme en une phrase sibylline.
On a l'impression qu'il se répète, ce narrateur, comme les évènements, cet "éternel retour" mentionné par Bouvière lors de ses séances, mais il n'en est rien. le présent invoque le souvenir et le souvenir explique en partie ce présent, en filigrane comme un palimpseste.
le narrateur anonyme possède cette clarté de langage - et là c'est du bel ouvrage - qui s'oppose au flou des évènements qu'il ne comprend pas toujours lui-même mais que le lecteur découvre avec lui, avec toute cette pédagogie du style, limpide et irréprochable. On pense alors au Meursault de L'étranger ou au Roquentin de la nausée tant il sait décrire un quotidien qui devient exceptionnel avec ce langage et cette quête qui le transforment avec un ton détaché, comme s'il doutait de sa propre existence. On lorgne du côté du
Proust et de sa madeleine aussi, mais une madeleine qui ne ferait pas seulement surgir le passé mais provoquerait aussi l'oubli, tel l'éther dans le roman :
"On dit que ce sont les odeurs qui ressuscitent le mieux le passé , et celle de l'éther avait toujours eu un curieux effet sur moi. Elle me semblait l'odeur même de mon enfance, mais comme elle était liée au sommeil et qu'elle effaçait aussi la douleur, les images qu'elle dévoilait se brouillaient aussitôt. C'était sans doute à cause de cela que j'avais, de mon enfance, un souvenir si confus. L'éther provoquait à la fois la mémoire et l'oubli. "(87-88)
Ce roman a été un véritable plaisir de lecture de bout en bout car c'est un chef d'oeuvre de cohérence : une vraie leçon sur l'art et la manière de rendre clair l'inexplicable, allégorie de la quête de l'écrivain face au langage trop pauvre, vision du temps aboli, de la mort peut-être,
Modiano a su rendre riche un roman de la brume qui commence et finit dans l'ombre mais qui possède ces quelques étincelles de clarté. Sublime.