De nos jours, les mots préciosité et ridicule ont un petit air de pléonasme : la préciosité, ce « travestissement du naturel » est de façon générale plutôt ridicule, puisqu'il consiste à se faire passer pour autre que l'on est, et qui plus est dans un monde ou un domaine où l'on est absolument étranger, essentiellement dans un but de « paraître ».
Mais initialement, au XVIIème siècle, la préciosité était une mode sociétale et culturelle issue d'un mouvement littéraire qui visait à embellir la langue française, et à travers elle, à modifier, si faire se pouvait, les moeurs. Ce mouvement, essentiellement féminin, se déploya dans les salons de la noblesse, et assez rapidement dériva vers un raffinement exagéré et une sorte d'affectation qui, inévitablement, attira sur lui les regards sarcastiques de certains contemporains comme
Molière et
La Fontaine (relisez « la Fille » dans le Livre VII des « Fables »)
Molière égratigne donc cette mode, y compris sous son volet littéraire (Mme de Scudéry, par exemple) mais plus encore, me semble-t-il, sur ceux, et encore plus celles, pour qui la préciosité n'est pas seulement une façon de vivre, mais un art de paraître et de se rendre intéressant. C'est pourquoi cette pièce n'est pas seulement une pièce « de caractère », mettant en accusation un défaut, un vice ou une manie, elle est surtout une pièce parodique et satirique visant à stigmatiser certains comportements mondains, au demeurant limités dans un cercle assez réduit.
Comme « La Fille »
De La Fontaine, Cathos et Madelon, précieuses militantes, éconduisent leurs soupirants La Grange et du Croisy au titre qu'il est hors de question pour elles de se marier à des gens « incongrus en galanterie ». Les deux jeunes gens, avec leurs valets Mascarille et Jodelet, entreprennent alors une vaste mystification dont les deux précieuses vont faire les frais. La pièce se termine en une apothéose joyeusement foutraque (ça c'est un mot pas précieux du tout), où Gorgibus, le maître de maison, père de Magdelon et oncle de Cathos, envoie tout promener, bastonne les valets et les violons, et tire la leçon de la pièce :
« Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous en fasse autant ; nous allons servir de fable et de risée à tout le monde, et voilà ce que vous vous êtes attiré par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines ; allez vous cacher pour jamais. [Seul]. Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes billevesées, pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers, chansons, sonnets et sonnettes, puissiez-vous être à tous les diables ! »
«
Les Précieuses ridicules » sont la cinquième pièce écrite par
Molière (du moins de ce qu'on en sait). C'est la première « grande » création, où il s'affranchit (un peu) de la farce traditionnelle et donne un tour plus réfléchi et plus profond à son intrigue : à l'intention de faire rire, s'ajoute l'intention de stigmatiser un sujet précis, ici la préciosité. Il affinera son analyse l'année suivante avec « Sganarelle », et surtout trois ans plus tard avec «
L'Ecole des Femmes »
Et pour ne pas quitter le Grand Siècle, j'aimerais finir cette chronique avec une citation du grand poète et philosophe
Tristan Bernard, qui évoque, non sans quelque nostalgie, la fuite du temps :
« Comme disait Colbert à Monsieur de Louvois
J'aurais dû baiser plus quand baiser je pouvois »