P326 Par la suite, il m’est apparu qu’au lieu de fuir la société, il fallait essayer de la changer ; alors je me suis lancé dans la politique et j’ai abandonné la poésie.
Les hommes ne comprennent pas qu'en enfermant les femmes, c'est à eux-mêmes qu'ils font le plus grand tort. Comment une mère ignorante du monde peut-elle former son fils à affronter la réalité ? Comment une épouse soumise peut-elle être l'interlocutrice, le miroir dont tout homme a besoin ?
Une idée n'est ni juste ni fausse ; elle est simplement en accord ou non avec les attentes d'un certain nombre de gens à une époque donnée. C'est son effricacité seule qui la fait qualifier de "juste", ce qui signifie en réalité qu'elle "s'ajuste" aux besoins du moment.
La vie lui a appris que les complications sont à la portée de tous, mais qu'en revanche, il n'est rien de plus difficile à atteindre que la simplicité.
Une fois de plus Zahar s'est laissée entraîner par des idées qui, ici, n'ont pas cours. Et elle se dit que sa mère, élevée en princesse et imprégnée de son statut était mieux comprise et acceptée par ces paysannes qu'elle-même qui s'obstine à vouloir les traiter en égales.
Elle comprendra plus tard que, pour les orientaux, un mariage d'amour est une incongruité, voire une contradiction dans les termes. Réalistes, ils constatent que deux choses relèvent de domaines totalement différents : le mariage est un contrat légal établi entre deux familles, deux fortunes, deux positions, et qui forme la base de la strucutre sociale, laquelle ne saurait dépendre d'une émotion qussi volatile et incontrôlable que l'amour. De son côté, l'amour est un sentiment beaucoup trop beau et romanesque pour être dépendant de liens matériels ; il n'existe que libre de toute obligation, il est le principe même de la vie, un perpétuel renouveau. Le mariage d'amour, invention récente de l'Occident, signifierait en réalité cette chose absurde : un contrat d'amour ! Ce serait vouloir à la fois l'amour et la sécurité : exigence contradictoire, l'un étant perpétuelle innovation, l'autre étant basée sur la répétition. Peut-on imaginer un contrat fixant la quantité et la qualité d'amour que chacun devra donner à l'autre ?
Faites ce que vous jugez devoir faire, lui dira-t-il un jour, de toute façon, vous serez encensée par les uns et critiquée par les autres. N'y prêtez pas attention, car cela a fort peu à voir avec vous : en réalité, vous n'êtes alors qu'un prétexte à l'expression des humeurs, des besoins ou des contradictions de votre entourage.
J'aurais tout donné, moi, pour ne pas être le vilain canard boiteux parmi les jeunes cygnes qui glissaient dans la vie entourés de leur papa et de leur maman. Etait-ce ma faute si ma maman était morte, si mon papa m'avait oubliée ? Etait-ce ma faute si les autres me prenaient quelque temps, mais sans jamais me garder ?
Evidemment que c'est ta faute, me murmurait une petite voix intérieure. Si personne ne veut de toi, c'est que tu ne vaux rien !
Constatation dont, plus tard, j'allais tirer la conséquence logique : puisque tu ne vaux rien, ceux qui veulent de toi sont des imbéciles, et ceux qui ne veulent pas de toi sont des gens bien.