Un parfum d'absinthes /
Marcel Moussy/Prix
Albert Camus 1991
Se remémorant quelques répliques de pièces de théâtre qu'il déclama jadis le narrateur écrit : « C'était moi, bien sur, mais un moi si lointain qu'il me faut désormais, pour pallier les lacunes de la mémoire, en parler comme d'un autre. » Lui, c'est
Jean-Marie, au début jeune lycéen bientôt bachelier, passionné de théâtre avec
Giraudoux et
Shakespeare, partageant cet amour avec Suzanne, une jolie fille un peu plus âgée que lui, étudiante en philologie. Nous sommes à Alger au début des années 40, une ville qui semble bien être un paradis pour les jeunes encore insouciants de la guerre qui a conduit à l'invasion de la Métropole par les Allemands.
Jean-Marie n'a plus que sa mère, Marianne, son père ayant été emporté par la tuberculose.
Suzanne Maillard est le centre de toute joie pour
Jean-Marie qui va d'un pas léger à son rendez-vous, « les yeux et le coeur éblouis, confondant son amour naissant avec l'odeur des pins, la caresse alternée de l'ombre et du soleil et l'appel de la mer... La villa Maillard comble toutes les aspirations d'un enfant unique, et privé de père, par une surabondance de vie qui le grise parfois jusqu'à l'étourdir. »
Les souvenirs aux tons sépia s'égrènent avec nostalgie, la passion de
Jean-Marie pour la Grèce antique le plongeant dans des lectures riches alors que le printemps 1943 est là et que son amour pour Suzanne les rend complices pour partager des secrets et faisant fi de toutes les difficultés inhérentes au temps de guerre, monter une pièce de théâtre écrite par
Jean-Marie lui-même, qui va être donnée à l'opéra d'Alger, et interprétée avec des amis.
« Au coeur du bonheur, les mots font défaut…Dans vingt ans, dans un siècle, que restera-t-il d'un amour de jeunesse lié à un pays dont l'identité replongée dans le monde arabe aura rejeté dans un exotisme, un intermède colonial tout ce qui fut vécu, en toute innocence, sur ses rivages, par des arrières petits fils d'émigrés. »
Dans très beau style, le narrateur évoque le bel été algérois alors qu'aux côtés de Suzanne, il descend vers une petite crique déserte au bord de mer : « C'est l'heure de stridence des cigales et du bouillonnement des parfums, les branches de lentisques et d'arbousiers s'accrochent aux bras nus le long du sentier à peine dessiné que traverse parfois un tourbillon de moucherons minuscules, dans un papillonnement de sueur et de soleil. Et à l'approche de l'odeur dominante, l'arôme des absinthes froissées, on sait bientôt qu'on est tout près du but. »
Et puis il y aura la séparation en raison du service militaire. Direction Tabarka en Tunisie avec la crainte de descendre jusqu'à Foum Tatahouine , tout au sud, un endroit perdu au désert. (Je connais, j'y suis allé !). Cette période n'empêche pas
Jean-Marie d'écrire, de traduire Lorca et de mieux connaître
Giraudoux et
Shakespeare. Dans l'attente de retrouver Suzanne…
Un beau récit émouvant et pudique évoquant une passion de jeunesse dans un monde englouti à jamais.