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C'est avec beaucoup de bonheur que je reviens en Europe pour le défi "1 Mois 1 Pays en livres", et plus précisément en Hongrie, pour découvrir Sándor Márai ! le sujet de ce roman, une immersion dans l'Inquisition entre 1598 et 1600, m'intriguait énormément et la plume de l'auteur a achevé de donner à cette oeuvre les dernières touches de couleurs dont elle pouvait avoir besoin. Avant de débuter, rappelons que l'Inquisition espagnole est créée en novembre 1478 et l'Inquisition romaine en juillet 1542.

Ce livre est en fait la longue lettre d'un carme espagnol qui témoigne de sa formation, à partir de 1598, auprès de l'Inquisition romaine qui doit lui apprendre ses techniques afin qu'il les rapporte dans son pays d'origine. Ce point de départ est très symbolique puisque l'année 1958 est marquée par la promulgation de l'édit De Nantes qui doit mettre fin aux guerres de Religion en France, et par la mort du roi Philippe II d'Espagne, un prince de la Contre-Réforme. Avec une efficacité terrifiante, l'auteur nous plonge alors dans le fanatisme, les tortures et la paranoïa de l'Inquisition.

Toutes les caractéristiques du totalitarisme sont là : mainmise sur la société, idéologie, système procédurier, acteurs multiples déresponsabilisés, dénonciation, condamnation de la libre pensée, ostracisme, violences, exécutions… Dans ces ténèbres, j'ai adoré la savoureuse ironie de Sándor Márai qui écrit : « car le Saint-Office, avec une indulgence inexplicable, jugeait que celui qui avait péché par la plume devait être détruit par la hache » (p. 101) ! Mais l'espoir perdure puisque l'exécution du penseur Giordano Bruno prouve que les idées voyagent vite et que certains individus ont le courage de renoncer à l'insouciance garantie par le totalitarisme pour retrouver leur libre arbitre.
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Je découvre Sandor Marai avec ce roman, pris au hasard d'un rayon à la médiathèque. Quelle bonne surprise ! le style écriture + traduction est envoûtant ; j'ai été totalement emporté dans ce monde de l'inquisition romaine en la toute fin du 16ème siècle. Un inquisiteur espagnol vient à Rome pour faire son "benchmark", comme on dit aujourd'hui, sur les méthodes les plus efficaces pour détecter les hérétiques, torturer et finalement obtenir une conversion sincère à la "vraie foi", juste avant que le feu soit mis sur le bûcher. J'ai été glacé par la façon dont il adhère et est convaincu de la nécessité de telles méthodes... je ne dis rien sur la fin.
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Je n'aurais sans doute jamais chroniqué ce roman de Sandor Marai La nuit du bûcher si je n'avais pas lu l'excellente critique qu'en a fait Creisification sur Babelio. Talent méconnu de la littérature de la Mittleuropa, Sandor Marai mérite qu'on le lise à plus d'un égard. Il a eu en effet le triste privilège de connaître à travers l'histoire tourmentée de la Hongrie, les trois régimes totalitaires qui ont marqué le XXème siècle à savoir le fascisme italien le nazisme et le communisme. Deuxième raison pour lui rendre hommage, c'est une plume remarquable, incisive, subtile à tel point que j'ai relu en diagonale le roman pour mieux en apprécier les effets de style.
Ce roman contrairement à d'autres de ses écrits prend ses distances par rapport à L Histoire contemporaine car il nous transporte à Rome en 1598. L'Inquisition fait rage. On brûle allègrement les hérétiques. Et nous allons suivre les pérégrinations d'un jeune carme espagnol, mu par le désir de parfaire son expérience dans l'art de débusquer les hérétiques et leur faire subir le châtiment qui convient. L'un des moyens les plus "en vogue" en Italie est de faire "rôtir" les malheureux condamnés sur un bûcher sur la place de Campe de' Fiori, lors d'une "justizia", un vrai spectacle romain suivi avec ferveur aussi bien par les bourgeois que le petit peuple de Rome !
Cette peinture de la Rome inquisitoriale permet à l'auteur de rappeler les mécanismes à la base de tous les régimes totalitaires qu'ils soient d'origine religieuse ou politique :suspicion généralisée, pratique de la délation y compris au sein de la famille, condamnation de la littérature et de tout ce qui touche à la liberté de pensée et d'expression sans oublier bien sûr la pratique de la torture censée favoriser l'aveu d'une culpabilité qui ne fait aucun doute... pour les tortionnaires en tout cas.
J'ai vraiment apprécié la façon dont l'auteur nous fait entrer par glissements successifs dans la pensée des "gardiens de la Volonté Divine" - les hommes d'Eglise chargés de l'Inquisition - Il nous permet ainsi de suivre leurs grands discours où ils se coupent peu à peu de la réalité et s'enferment dans une logorrhée proche du délire. J'ai senti planer ainsi en arrière fond l'ombre de tous les "grands fous" de l'Histoire du XX ème et du XXI ème siècles.
Face à cette machine à broyer les corps et les esprits, un beau personnage de résistant : un prêtre apostat Leornardo qui va jusqu'au dernier moment refuser d'embrasser la Croix et offrir à ses bourreaux , son indifférence sans faille voire son mépris . L'acmé du roman sera pour moi cette magnifique scène d'une intensité poignante, où il renverra aux spectateurs l'image du Christ torturé sur la Croix. Temps suspendu, foule figée avant que ne s'abattent sur le supplicié les cris de haine... Derniers moments du supplicié qui ne regardera jamais vers le Ciel et restera seul dans sa solitude et son désespoir...
Dernier point sur lequel je voudrais insister c'est la lecture constamment décalée que l'on fait puisqu'à chaque instant le récit admiratif que le jeune carme nous offre est battu en brèche par la lecture critique que nous faisons de cette sombre période de notre Histoire européenne.
Cette contre-lecture est jouissive et c'est en partie pour cette raison que j'ai relu le roman en diagonale afin de mieux savourer tous les passages où à coup d'humour noir et au second degré l'auteur s'en donne à coeur joie !
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On ne nait pas inquisiteur on le devient en se formant auprès de confrères expérimentés, c'est ce que recherche un jeune espagnol en allant à Rome perfectionner son art, à la source du catholicisme.

Par une lettre à un ami l'apprenti va conter son périple, son admission et son éducation par les meilleurs de la profession. Dès les premières lignes se dessine une personnalité déterminée, insensible au doute et à l'esprit étriqué, il a toutes les qualités recherchées associées à une docilité de bon aloi.
S'en suit le défilé fastidieux des hérétiques torturés et exécutés après des simulacres de procès qui n'ont pour but que de les voir reconnaitre leurs fautes avant la mort.
L'Inquisition est un totalitarisme qui veut extirper le mal absolu que sont les sectes diverses et variées du christianisme et toutes les pensées non orthodoxes. Comme dans tout système totalitaire chacun doit espionner ses voisins, ses parents, ses enfants et les dénoncer au moindre écart, la paranoïa doit être généralisée et générer la crainte dans les esprits y compris ceux des Inquisiteurs.

Au dernier jour de ses études notre débutant, fatale erreur, veut voir de plus prêt un hérétique condamné jusqu'à son exécution, le hasard l'amène face à Giordano Bruno qui est d'un autre calibre que celui des suppliciés ordinaires. Bruno inflexible jusqu'au bûcher va jeter un grain de sable dans l'esprit du jeune espagnol avec des conséquences imprévisibles.

La forme du roman n'en facilite pas la lecture, le récit épistolaire est lourd et étouffant, réflexions et dialogues retranscrits sont fastidieux. Certes Giordano Bruno n'est pas le sujet du roman, ses oeuvres philosophiques, mathématiques et sa vision du monde n'y suffirait pas mais l'on aurait aimé que l'auteur imagine un dialogue entre un inquisiteur et un penseur du génie de Bruno, une controverse de haut vol. Quant à l'issue du roman elle est inattendue mais sans grande portée.

La nuit du bûcher fut écrit en 1975 sous le régime communiste et il faut sans doute y voir une condamnation la dictature en place en Hongrie et des procès communistes mais le plaisir de lecture a été réduit en ce qui me concerne.
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Après le magnifique billet d'Eduardo (Creisifiction), j'ai su que je lirai ce roman sur l'Inquisition : Une religion qui veut s'imposer comme moyen de gouverner le monde en tuant ceux qu'elle perçoit comme « hérétiques », ça rappelle encore malheureusement des choses aujourd'hui. L'expérience des uns ne sert visiblement pas de leçon aux autres…


Dans "La nuit du bûcher", un carme espagnol vient à Rome pour apprendre à débusquer plus efficacement les hérétiques qui simuleraient leur chrétienté, à mieux les torturer, mieux les convertir (c'est sûr que ça fait envie)… Et mieux les brûler ! Car on ne brûle pas de la même manière un hérétique converti et un non converti - ce dernier aura droit au bûcher de bois vert qui se consume extrêmement lentement.


Notre carme se fait donc une fierté d'apprendre avec les plus grands inquisiteurs afin de pouvoir propager ce savoir chez lui, comme par exemple comment exploiter la jeunesse malléable, les enfants des familles pour dénoncer les parents ou toute parole suspecte prononcée à la maison ou par des proches… L'un d'entre eux n'a-t-il pas fermé ses fenêtres devant le spectacle d'un bûcher ? Hérétique ! La délation est, de manière générale, un devoir pour prouver que l'on est un chrétien zélé pratiquant et non un vague semblant de converti.


Les simples sympathisants de l'Inquisition qui ne se mouillent pas - « Les personnes vivant dans le péché de l'indifférence, en d'autres terme : enclins à l'hérésie » - sont donc tués aussi, mais rassurez-vous ils ont des morts plus douces comme la pendaison. Et puis jamais d'écartèlement c'est interdit, on n'est pas des bêtes… « Nous appliquons consciencieusement ces préceptes de pitié et de compassion ».


L'idée est que « Tant que les hérétiques ne se rétracteront pas, tant que les païens ne se feront pas baptiser et tant qu'il n'y aura pas qu'un seul bercail et un seul berger, il n'y aura pas d'ordre dans toutes ces régions ».


Les livres sont évidemment les premiers craints et sacrifiés, qui permettent aux idées de se diffuser et, surtout, aux âmes libres de réfléchir par elles-mêmes, et donc de risquer de se détacher du dogme auquel on veut les attacher et les soumettre.
« Le véritable danger ce sont les livres (…). La méthode souveraine dans le combat contre l'hérésie était de réduire à néant tous les livres, auteurs et lecteurs louches parce qu'il n'y aurait pas d'ordre dans le monde tant que vivraient des hommes qui feraient l'expérience de penser par eux-mêmes. »
Et si pour arriver à cela, les bûchers individuels ne suffisent plus, qu'à cela ne tienne : il faudra interner les gens à grande échelle, pour les brûler par milliers…


Alors très vite, à travers les mots que fait prononcer Sandor Marai à son évêque pour défendre l'Inquisition de l'Eglise, le lecteur attentif percevra non-seulement, dans un premier temps, les failles et l'inhumanité d'un raisonnement poussé à l'extrême, que l'on retrouve aujourd'hui dans d'autres religions.


Mais, dans un second temps, il y percevra aussi une dénonciation plus large des méthodes et arguments avancés, qui ont pu être utilisés plus tard par d'autres dictatures politiques : En faisant parler de grands inquisiteurs, Sandor Marai suggère des superpositions de lieux, de temps et d'agissements, créant une réflexion plus vaste. La délation, les rafles, les corps brûlés, ça ne vous rappelle rien ? Voilà à quoi mènent toujours ces raisonnements et arguments, nous avertit-il de manière plus ou moins subliminale.


« Alors oui, avec le temps, il deviendra réellement un chrétien, c'est à dire une créature qui ne pose pas de questions et ne discute pas, parce qu'il a la certitude que l'univers de la chrétienté est le plus parfait de tous. C'est pourquoi il est souhaitable d'exclure tous ceux dont on peut supposer que le doute est resté vivant dans leur âme. Viendra un temps où il faudra enfermer les suspects en groupe, sans discernement, sans tenir compte de l'individu. »
« Arrivera une époque où l'on regroupera sans ambages ni perte de temps tous ceux qui seront soupçonnés d'hérésie à cause de leur origine ou pour d'autres raisons, dans des champs clos par des barrières de fer, pour des périodes plus ou moins longues. » « Quand le temps sera venu, il enverra les coupables non pas par un mais par groupes entiers, plusieurs centaines d'hommes à la fois, dans l'autre monde. »


Roman réflexion plus qu'émotion, il m'a peut-être manqué, pour en garder un plus grand souvenir à terme, de m'enflammer pour un personnage ou une intrigue. A la place, l'auteur instaure un léger suspense bienvenu sur l'issue de ce récit, et parvient à ne pas nous rendre antipathique son carme inquisiteur. D'une grande fluidité, ces 280 pages ont par ailleurs le bon goût de nous épargner nombre de détails, descriptions et pratiques de cette période. Vous n'y trouverez donc pas la reproduction de grands procès à sensation, ni de scènes insoutenables de torture. Mais en se focalisant sur celle emblématique du bûcher, la logique qui y mène ainsi que les méthodes utilisées pour y parvenir, l'auteur génère une réflexion qui demeure malheureusement universelle et intemporelle : A cette logique inquisitoriale, sous les mots des hauts dignitaires de l'Eglise qui la défendent et la propagent, se superposent les logiques, justifications et modèles d'autres types de dictatures comme par exemple les exterminations nazies, ou encore les extrémistes religieux actuellement. « Dieu a besoin du Diable ». A travers sa plume et ses tournures, Sandor Marai parvient même à nous transmettre le sentiment de sa propre ironie à travers les arguments qu'il prête aux inquisiteurs (comme dans l'extrait que j'ai posté à part en citation). Il tente ainsi de démontrer ce que l'on sent être pour lui la bêtise des arguments d'autorité de ceux qui exercent le pouvoir.


Le carme narrateur sera-t-il satisfait de sa formation romaine, ou le fait d'approfondir cette doctrine et de pousser ses idées au bout du raisonnement lui en fera-t-il voir les limites…? L'homme est-il fait pour être un mouton, ou un être doté du libre arbitre…?


En écrivant cette lettre au nom de son personnage, Sandor Marai écrit en réalité un réquisitoire contre l'inquisition et tous les pouvoirs totalitaires, qui reprennent à chaque fois les mêmes arguments d'autorité pour justifier leurs propres horreurs, copiées-collées.


« Car maintenant il ne s'agit pas de savoir qui a raison. Maintenant ce qui compte, c'est de savoir qui possède la force de faire croire au monde sa propre vérité. »

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Dans un long récit-confession qu'il est sur le point d'envoyer à ses confrères carmes d'Avila en Espagne, un inquisiteur espagnol mandé à Rome à la fin du XVIe siècle, le narrateur, raconte ce qu'il y a appris en matière d'exécution des hérétiques par le bûcher. L'image de couverture du roman et la quatrième de couverture laissent supposer qu'un rôle prépondérant dans l'intrigue est réservé à la mise à mort du plus célèbre des philosophes hérétiques italiens, Giordano Bruno, le 17 février 1600 au Campo de' Fiori à Rome, où trône une statue en bronze de celui-ci (érigée dans la foulée de prise de la ville par la monarchie italienne supplantant le pouvoir de la Papauté qu'elle veut ainsi condamner). L'éditeur laisse entendre que le célèbre écrivain hongrois Sándor Márai, opposant indéfectible des totalitarismes fasciste et communiste de son temps, a écrit ce roman en 1974 depuis l'Italie en prenant partie pour le héros de la libre pensée et contre la tyrannie de l'Inquisition, pour parler de son époque, comme cela a été fait souvent dans différentes récupérations anachroniques du personnage historique dans des contextes qui en vérité ne s'y prêtent guère.
Passionné de la pensée et de la vie du philosophe, théologien, astronome de Nola, séduisant par son immense érudition, par son pacifisme et son ambition de se faire l'intermédiaire sceptique et provocateur entre catholicisme et protestantisme dans une Europe encore meurtrie par les guerres de religion qu'il parcourt infatigablement, par ses mnémotechniques et pour avoir été sans doute le plus fin connaisseur d'Aristote de son temps, j'ai lu une excellente biographie par le philosophe italien Matteo D'Amico qui met en lumière, après une étude très approfondie des archives du procès contre Bruno, l'impartialité, la méticulosité, le soin que le Saint-Office employa dans la procédure le concernant qui dura sept ans et opposa au prévenu les esprits les plus vifs et les plus attentifs de l'Église. le contraire des procès staliniens ou d'autres mascarades pseudo-judiciaires expéditives précédant les mises à mort politiques du XXe siècle.
Heureusement, le romancier hongrois ne tombe pas dans le piège. Pendant la moitié exacte du roman, le narrateur ne rencontre pas Giordano Bruno, mais il découvre un détail peu connu de la procédure : la nuit qui précède la mise à mort sur le bûcher, des « confortatori » laïcs et ecclésiastiques passent les dernières heures de la vie du condamné à essayer de lui arracher une confession sincère et la communion, voire même un désir véridique d'expiation, afin de lui assurer le salut éternel qui vaut bien plus, dans l'esprit de l'époque, que la peine d'être brûlé vif devant une foule excitée... L'écrivain situe ces personnages mineurs, en imaginant fort précisément leurs pensées, leurs motivations et leur statut social dans le cadre d'une confrérie historiquement attestée – et l'on reconnaît aux détails un sérieux travail sur les archives –, de même qu'il imagine à deux reprises des entretiens avec le Grand Inquisiteur, le cardinal Robert Bellarmin, qui comptent parmi les pages les plus saisissantes du roman.
Néanmoins, dans l'itinéraire biographique du narrateur, qui reste le personnage principal, la rencontre avec un Giordano Bruno à peine esquissé, d'abord avec ses confortateurs nocturnes, puis sur le bûcher, l'impénétrabilité de son visage imperturbable dans les deux circonstances, et la mise en parallèle de cette inexpressivité avec celle que le narrateur observe dans deux Pietà de Michel-Ange, constituent les moteurs de l'action du récit. Celle-ci se dynamise dans le dernier tiers du roman, notamment après que la personnalité et les hérésies de Bruno sont révélées par le truchement des propos que Bellarmin adresse au narrateur. Ainsi, c'est la représentation que le prélat présente de l'hérétique et non une opinion du narrateur – qui aurait été bien incapable de se la former tout seul – que l'auteur nous propose, en repoussant encore davantage une lecture facile qui pourrait identifier grossièrement la narrateur à l'auteur, ou laisser entendre un jugement anachronique de Bruno.
La narrateur demeure d'ailleurs profondément un homme de son temps qui, s'il récuse son « métier » d'inquisiteur, ne le fait pas pour les motifs qu'un contemporain pourrait lui attribuer.
Ainsi, le roman possède une finesse et une valeur propres qui n'ont rien à voir avec l'idéologie.
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Pénétrer au plus près le coeur d'un inquisiteur, faire le choix d'un seul narrateur dans un rôle si peu flatteur, peut rebuter certains lecteurs, moi la première qui y suis allée presque à contrecoeur, mais ce serait vraiment dommage de rater ce livre remarquable, dénonciateur de l'obscurantisme et du totalitarisme religieux, dans une époque où le dogme catholique faisait force de loi. Problématique transposable en politique ! Et de ce côté-là, Sandor Maraï , lui-même victime et contraint de s'exiler, connaissait bien le sujet des libertés bafouées.

Voici donc l'histoire d'un carme espagnol qui, en toute "bonne" foi, bonne conscience, bonne volonté, s'en va à Rome se perfectionner dans l'art de débusquer les hérétiques ( et même ceux susceptibles de le devenir) , de les "cuisiner" sans les faire expirer, les conforter afin de les remettre sur le droit chemin ( rarement sur pieds !) et si irrémé(diable)ment réfractaires, tel Giordano Bruno, dominicain, philosophe, astronome, résistant durant sept ans aux traitements de choix ( et de choc !) sur lui infligés, les conduire avec solennité au bûcher, où la foule en délire attend le condamné.

Lorsque l'un des cardinaux de cette redoutable et efficace institution prédit " une époque où l'on regroupera sans ambages ni perte de temps tous ceux qui seront soupçonnés de tomber un jour dans le péché d'hérésie, à cause de leur origine ou pour d'autres raisons, dans des champs clos par des barrières de fer", son voeu fut amplement et abjectement exaucé, dans un monde dit civilisé !
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Un roman historique parfaitement maîtrisé qui nous fait nous questionner sur le totalitarisme religieux.
1598. Un jeune carme espagnol se rend à Rome afin de prendre des "leçons d'inquisition". Zu cours de sa formation, il sera amené à vivre au plus près des inquisiteurs, dans la violence des interrogatoires, les vaines tentatives de ses pairs afin de retourner les hérétiques et les passages au bûcher. l'espagnol se voit octroyer le droit de suivre la dernière nuit d'un condamné : il rencontre Giodano Bruno. C'est cette expérience qui le fera douter...
J'ai beaucoup aimé ce court roman historique, qui nous replonge dans une triste réalité du christianisme. Une nouvelle preuve, s'il était nécessaire, que toute dérive totalitaire n'a pour seul effet que de scinder les populations et créer des extrémismes.
A méditer...
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Ce livre vient de faire l'objet de belles chroniques, celle de Myrtigal, notamment, mais d'autres lecteurs aussi, alors pour les amis de Babelio, je voudrais apporter un son, une tonalité, ou un regard un tout petit peu différents. Tout petit peu, car j'adhère aux chroniques précédemment publiées.
Alors d'abord, je lis Sandor Marai depuis quelques livres, et ce livre-ci m'a étonné par sa problématique très différente. Sandor Marai nous plonge dans l'Inquisition entre l'Italie (là où l'action se déroule) et l'Espagne (là d'où est originaire son héros). Autre élément étonnant, Sandor Marai nous plonge en plein XVI ème siècle, lui qui nous portait plutôt dans le XXème.
Si on a lu quelques livres de Sandor Marai, évoquant les atermoiements de la bourgeoisie hongroise, on sera tout étonné de l'espace et l'époque de ce roman.
La Hongrie est loin, ce qui est aussi surprenant. Elle n'est même plus là du tout.
Et pourtant,
Ce roman, assez court, est époustouflant.
Très documenté sur l'Inquisition et ces atrocités, ces bûchers, ces milliers de suppliciés avec la satisfaction et les sourires béats de prêtres, de « con… acceptants et contribuants », Sandor Marai a pris en exemple Bruno. Certes, Copernic, Galilée sont plus célèbres, Bruno moins, et pourtant, un savant, un scientifique, qui n'a jamais voulu renoncer à ses découvertes, et qui a toujours opposé croyance et science. le roman lui rend en quelque sorte hommage, insistant sur la persévérance du scientifique, et l'absurdité des religieux. C'est compliqué mais cela me rappelle l'affaire Lyssenko dans les années fin 40, début 50, en URSS. Il est impossible que Sandor Marai n'y ait pas pensé.
Mais époustouflant car cela ne peut pas ne pas nous rappeler les procès en cours dans la Hongrie des années 1948-1949, au moment où Sandor Marai choisit, l'âme crevée de désolation, l'exil. Les pendaisons quotidiennes, en parallèle aux bûchers quotidiens à Rome. L'extorsion des aveux, pour expier, alors qu'avouer ou pas, de toute façon, le « impie » sera condamné à mourir (bûcher sous l'inquisition ou pendaison en Hongrie communiste).
Il a pris en exemple Bruno qui ne baisse pas les yeux, qui regarde ailleurs, vers un autre monde. Son choix est hautement humaniste, comme l'était Bruno, avec Erasme, et d'autres.
Et aujourd'hui, ce livre m'apparait d'une actualité incroyable car aujourd'hui je vois des scientifiques ou prétendus se battre, s'arracher même, sur des soit-disant vérités scientifiques, pour la vie et la mort de milliers de gens.
Aujourd'hui, je vois des humains qui s'entretuent et s'envoient au bûcher pour des croyances religieuses différentes. Chacun est persuadé qu'il a raison au nom d'une croyance.
Ce roman, écrit en 1974, par un Hongrois qui a connu les pires régimes totalitaires du XXème siècle, percute.
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Après avoir plutôt aimé L'héritage d'Esther, puis avoir eu un coup de coeur pour le premier amour, j'ai été prise d'une sorte de frénésie pour Sándor Márai et j'ai voulu enchainer immédiatement avec un autre de ses livres. J'ai choisi La nuit du bûcher car son histoire radicalement différente des deux précédentes m'a beaucoup intriguée.
Dans ce roman l'auteur décide de nous plonger en pleine Renaissance à la fin du XVIe siècle, à Rome, au sein de la grande Inquisition. On va suivre une jeune moine espagnol qui après avoir fait un long voyage depuis Ávila, arrive dans la capitale papale dans le but d'y parfaire sa formation d'inquisiteur auprès des meilleurs spécialistes. A vrai dire le roman est en fait le récit sous forme d'une (très) longue lettre de ce jeune moine à son ami resté en Espagne, où il va lui raconter toute son aventure romaine, et surtout lui expliquer pourquoi il a pris la décision de quitter le métier d'inquisiteur.

Je n'avais auparavant jamais lu de roman se situant à cette époque, c'est une première pour moi et ça été plutôt fascinant. Tout d'abord j'ai beaucoup aimé ce côté obscur qui imprègne le roman du début à la fin, une sorte d'ambiance mystique presque oppressante voire étouffante qui est accentuée par la forme du roman fait d'un bloc entier sans aucun chapitre ni découpage.

Tout d'abord, j'ai beaucoup aimé errer dans les rue de la capitale antique, découvrir ses us et coutumes et de façon générale la vie du XVIe siècle, on croisera même quelque uns des grands personnages historiques qui ont marqué la ville. (Mêmes si ces aspects étaient au final assez mineurs dans le récit.)
Mais bien sûr le plus flagrant et le plus marquant dans ce roman c'est sans conteste l'immersion dans les préceptes de l'Inquisition. le roman tout entier est centré sur cela.
Notre jeune moine va rencontrer divers personnages influents qui vont le former, le cardinal Bellarmin, le Padre Alessandro, ainsi que les autres bénédictins, dominicains etc., avec lesquels il va vivre en communauté durant sa formation. Tout ce petit monde va discourir et débattre jour et nuit sur les bienfaits de leur entreprise d'éradication des hérétiques, ses raisons, son utilité, ses méthodes, le tout étayé par de nombreux arguments rationalisés au possible, qui laissent le lecteur d'aujourd'hui absolument sidéré.
Les passages concernant le fléau de l'imprimerie et le danger des livres qui corrompent l'esprit des hommes car ils leur permettent de penser par eux-mêmes...sont édifiants !
Mais je dois l'avouer, comme souvent avec Márai, un léger bémol dû à ces discours qui parfois prenaient des proportions interminables, dont on ne voyait pas la fin mais tout en étant tellement déconcertants que je ne pouvais pas m'arrêter de tourner les pages !

Maintes fois j'ai été stupéfaite de lire ce que je lisais et, connaissant l'histoire de Sándor Márai, il était impossible de ne pas faire le rapprochement avec le régime Nazi. La rationalisation des arguments, la déshumanisation des victimes et leur éradication systématique sont les grands points communs les frappants. D'autant plus que les inquisiteurs tiraient une grande fierté à l'accomplissement de leur tâche et, ayant la vérité pour eux, ils ne se remettaient ni en question ni ne voyaient l'absurdité et la cruauté de leurs actes. A l'image de tant de dignitaires Nazi qui justifieront plus tard leurs actes en arguant qu'ils ne faisaient que leurs devoirs.
Autre similitude, le climat de suspicion et de dénonciation qu'ont instauré les inquisiteurs. Ils souhaitaient, exigeaient que les hérétiques soient constamment épiés et dénoncés par tout un chacun et pire; par les membres de leur familles. Nul besoin de preuve, seulement deux témoignages vaguement concordant suffisent et s'en est fini de l'accusé. Un arbitraire qui ne peux que rappeler celui qui a suivi trois siècles plus tard...

Pour en revenir à l'histoire, quelque jours avant son départ notre jeune moine va demander à pouvoir assister à un interrogatoire, celui de Giordano Bruno, car l'une des tâche des inquisiteurs (plus précisément des 'confortatori') est de pousser l'accusé au repentir. Car non content de le brûler vif quoi qu'il arrive, ils veulent quand même "sauver son âme" et vont pour ce faire exercer toute sortes de pression psychologiques afin de l'y contraindre.
Giordano Bruno, lui ne cédera pas. Ce qui ébranlera quelque peu notre jeune espagnol.., et il livrera à son ami tous la révélation de tous les états-d'âme par lesquels il est passé.

En bref c'est un roman dense, par son contenu et par sa forme, qui m'a choquée et fascinée, et dans lequel j'ai aimé me plonger. Peu d'actions (typique de Márai), c'est un véritable cheminement dans l'obscurité, pour tenter de comprendre le totalitarisme à échelle d'homme et surtout du point de vue de l'oppresseur.
Sándor Márai sonde encore une fois l'âme humaine, et à vrai dire tous les humains tout court. Et c'est encore une fois une réussite.
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