Citations sur Un été dans la Sierra (53)
Que la Nature est férocement, dévotement sauvage, au milieu de sa tendresse éprise de beauté.
Ce petit oiseau est une fleur encore plus ravissante que les bulles d’écume dans les remous des bassins.
Les touristes que nous avons vus voyageaient en groupes, qui pouvaient aller de trois ou quatre personnes, à quinze ou vingt, chevauchant des mules ou des petits chevaux mustangs. Etrange spectacle que celui qu’ils offraient, serpentant ainsi en file indienne à travers les forêts solennelles, dans leurs costumes criards, au grand effroi des créatures sauvages, et l’on a presque l’impression qu’ils dérangent les grands pins eux-mêmes et les font gémir d’horreur.
On pourrait croire que les nuages eux-mêmes sont des plantes, qui jaillissent dans les champs célestes à l’appel du soleil, et poussent, pleins de beauté, jusqu’à atteindre leur pleine maturité, éparpillant la pluie et la grêle comme autant de baies et de graines, avant de se faner et de mourir.
Le vent nocturne raconte les merveilles des hautes montagnes, leurs fontaines et leurs jardins enneigés, leurs forêts et leurs bosquets ; leur topographie elle-même est inscrite dans ses accents. Et les étoiles, éternels lys des cieux, qu’elles sont donc brillantes, à présent que nous sommes élevés au-dessus de la poussière des basses terres.
Que le temps est donc beau ! Je ne puis rien concevoir de plus paradisiaque. Le vent souffle avec une extrême douceur. D’ailleurs, on hésite à baptiser du nom de vent des courants d’air aussi paisibles. On a l’impression qu’ils sont l’haleine même de la Nature, chuchotant leur message de paix à tout ce qui vit.
Quant au berger, sa situation est pire encore, surtout l’hiver qu’il passe tout seul dans une cabane. Car, bien qu’il soit parfois stimulé par l’espoir de posséder un jour son troupeau et de s’enrichir, comme son patron, il risque fort en même temps d’être dégradé par la vie qu’il mène, et il n’accède que rarement à la dignité et à l’avantage — ou au désavantage — qu’il peut y avoir à être propriétaire. Dans son cas, il n’est pas besoin de chercher bien loin la cause de sa déchéance. Il est seul la plus grande partie de l’année, et la solitude est, à ce qu’il semble, difficilement supportée par la plupart des gens. Il a rarement recours à de saines occupations ou récréations mentales, sous forme de livres. Quand il regagne, le soir, abruti de fatigue, sa petite masure enfumée, il n’y trouve rien qui puisse hisser sa vie au niveau de l’univers et la maintenir en équilibre. Non, après avoir traîné son ennui toute la journée à la suite de ses bêtes, il doit fricoter son dîner ; il y a de fortes chances pour qu’il méprise cette tâche et s’efforce de satisfaire sa faim en avalant tout ce qu’il peut avoir sous la main. Peut-être n’a-t-il pas fait cuire de pain, alors il se contente de quelques méchantes crêpes noirâtres, cuites dans une poêle qui n’a pas été nettoyée ; il fait bouillir une poignée de thé, et revenir, à l’occasion, quelques tranches de bacon racorni. D’habitude, il y a des pêches ou des pommes séchées dans la cabane, mais il déteste se donner le mal de cuisiner, et préfère manger son bacon et ses crêpes, comptant pour le reste sur la joyeuse hébétude qu’engendre le tabac. Après quoi il se met au lit, souvent sans même ôter les vêtements qu’il a portés dans la journée. Inutile de dire que sa santé physique s’en ressent, et que cela se répercute sur sa santé mentale ; et à force de ne pas voir âme qui vive pendant des semaines ou des mois, il finit par être à demi, voire complètement fou.
De prairie en prairie, chacune plus belle qu'on ne saurait le dire, et de lac en lac, à travers les bosquets et les bandes d'arbres fuselés, j'ai maintenu le cap vers le nord en direction du mont Conness, découvrant partout des splendeurs impressionnantes, tandis que les montagnes qui me cernaient me criaient : "Viens !" Plaise au ciel que je parvienne à les escalader toutes ! (p. 182)
Qui eût soupçonné qu'une beauté si délicate se cachait au fond d'un endroit si sauvage ? Des parterres s'épanouissent dans toutes sortes de recoins et de creux - à l'entrée, des eriogonum alpins, des érigérons, des saxifrages, des gentianes, des cowanias, des primevères en buissons ; au milieu, des pieds d'alouette, des ancolies, des orthocarpus, des castillejas, des clochettes, des épilobes, des violettes, de la menthe, des achillées ; à l'autre bout, des tournesols, des lys, des églantines, des iris, des chèvre-feuilles, des clématites. (p. 199)
Depuis que j'ai été autorisé à pénétrer au milieu de ces montagnes, j'ai cherché le cassiope que l'on dit être la plus belle et la préférée parmi toutes les éricacées, mais aussi étrange que cela puisse paraître, je ne l'ai pas encore trouvé. Au cours de mes promenades en haute montagne, je ne cesse de marmonner : "Cassiope, cassiope." Ce nom s'impose à mes lèvres, comme disent les calvinistes, malgré les magnifiques légions de plantes qui se pressent autour de moi sans que je les appelle, dès l'instant où je me montre. Cassiope semble être le nom suprême parmi tout le petit peuple des landes de montagne, et comme s'il avait conscience de sa valeur, il se tient obstinément à l'écart. Il faut que je trouve bientôt, si je dois faire sa connaissance cette année. (p. 215-216)