Nous nous arrêtons devant une entrée assez grandiose. Sur une plaque de cuivre vissée sur une des colonnes on peut lire Bengal Club, Fondé en 1827. A côté d’elle un panneau de bois annonce en lettres blanches :
ENTREE INTERDITE AUX CHIENS ET AUX INDIENS
Banerjee remarque ma désapprobation.
« Ne vous inquiétez pas, monsieur, dit-il. Nous savons où est notre place. En outre, les Britanniques ont réalisé en un siècle et demi des choses que notre civilisation n’a pas atteintes en plus de quatre mille ans.
-Absolument », renchérit Digby.
Je demande des exemples.
Banerjee a un mince sourire. « Eh bien, nous n’avons jamais réussi à apprendre à lire aux chiens. (p. 97)
" Et vous monsieur ? me demande Banerjee. Qu'est ce qui vous amène à Calcutta ?"
Je reste muet.
Que lui dire ?
Que j'ai survécu à une guerre qui a tué mon frère et mes amis ? Que j'ai été blessé et expédié chez moi pour découvrir en sortant de l'hôpital que ma femme était morte de la grippe espagnole ? Que j'étais las d'une Angleterre en laquelle je ne croyais plus ? Non, ce serait inconvenant. Je lui sers donc ma réponse habituelle.
"J'en ai eu marre de la pluie, Sergent."
La pluie torrentielle a engorgé les égouts et transformé les rues en canaux, faisant de Black Town une Venise du pauvre, quoiqu'avec moins de gondoles et plus de rats noyés.
C'était un homme de haute taille, d'une cinquantaine d'années, avec le visage bienveillant d'un prêtre et le charme du diable.
Qu'est ce que je fais là, dans ce pays où les indigènes vous méprisent, le climat vous rend fou, et où l'eau peut vous tuer ?
En Inde, on dirait que même la loi et l'ordre sont subordonnés à la dure réalité des races.
Je n'ai jamais aimé avoir affaire à des petits fonctionnaires. Ils ont tendance à avoir une trop haute opinion d'eux-mêmes, et ceux qui portent une casquette à visière sont souvent les pires.
C'est drôle comme on peut croire à l'existence d'une divinité jusqu'au jour où on perd la personne qui vous est la plus chère.
Il est vrai que l'enfer est beaucoup plus chaud que l'Ecosse.
Et comment croyez vous que cent cinquante mille Britanniques tiennent sous leur coupe trois cent millions d’Indiens ? La supériorité morale. Pour qu’un si petit nombre en domine un aussi grand, il faut que les dominants projettent une aura de supériorité sur les dominés. Pas seulement une supériorité physique ou militaire mais aussi morale. Plus important encore, il faut que de leur côté leurs sujets se croient inférieurs ; que c’est pour leur bien qu’ils ont besoin d’être dominés.