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Critique de solasub


Il est quelques auteurs dont chaque livre est une rencontre, rencontre amicale ou amoureuse, c'est selon, qui ajoute à votre vie de nouveaux liens, un passé commun et intime et redessine votre réalité. Murakami bien sûr est de ceux-là, et votre vie et le monde ne sont plus jamais exactement les mêmes après la lecture d'un de ses romans.
Mais bien entendu, il ne s'agit pas d'un bouleversement, d'un raz de marée : de tels mouvements lui correspondraient bien peu. Seulement un léger déphasage des choses, une vibration sourde, un tremblement du réel, l'apparition de brisures dans ce qui vous semblait coïncider, et de coïncidences soudaines entre ce qui vous semblait pourtant jusqu'ici appartenir à des sphères irrémédiablement distinctes. Murakami réinvente le monde et le métamorphose, ce qui est justement la définition du poète.
J'ai commencé "La fin des temps" ce soir, et une nouvelle rencontre se produit, qui s'annonce aussi belle et troublante que l'ont été par exemple "Kafka sur le rivage" ou "Chroniques de l'oiseau à ressort". Une rencontre pourtant différente, unique à chaque fois.
Lewis Caroll, Borges, le Bradbury de "La solitude est un cercueil de verre" (un livre adoré) : "La Fin des temps" se rapproche de ces univers, plus immédiatement étrange que dans ses autres romans.
Je savoure ce moment unique du premier rendez-vous, me précipitant avec délices dans les heures à venir, appréhendant déjà le moment où elles seront achevées.

[…]
Ce roman, je l'ai fini la nuit dernière, vers 04h30 du matin (pas très raisonnable tout ça). Ce sont les lectures que je préfère, celles des nuits blanches, celles à perdre haleine, s'user les yeux, celles qui renouent avec l'adolescence et ses lectures interdites que l'on poursuit bien après l'heure du couvre-feu. Celles aussi qui me permettent d'oublier mon métier, après des années de fac et d'enseignement où on ne lit plus que le crayon à la main et des analyses structuralistes en tête.
Et donc le roman est fini, et comme toujours il y a ce sentiment délicieux et ambigu de plénitude et de frustration.

Il s'y ajoute le sentiment particulier que laisse tout roman de Murakami: le coeur en suspens et égratigné, car oui, bien sûr, il ne saurait y avoir de "happy end" ni même d'achèvement. Je me suis souvent dit que la beauté de l'oeuvre de Murakami, et son courage, résidaient en grande partie dans ses fins qui "malmènent" le lecteur et lui laissent au coeur une plaie ouverte, lui refusant l'apaisement des dénouements topiques et l'illusion rassurante d'une réponse.
Peu de romanciers en sont capables.

Je ne vous parlerai pas ici de l'intrigue, ni de sa construction, ni même du thème du livre. Sans doute la lassitude de la prof de Lettres. Mais aussi, et plus sûrement, car ce ne serait pas l'essentiel. J'ai envie de parler d'autres choses, ce qui serait pourtant aussi parler de ce livre ; ou plutôt, de faire parler d'autres que moi.

Tout d'abord mon ami D., qui m'a laissé la dernière fois ce très beau commentaire :
« Très belle évocation de l'univers de Murakami. Un univers où, comme tu l'écris si justement, le fantastique est plus un filigrane du quotidien qu'une rupture avérée dans l'ordre des choses. Un instant de distraction, de relâchement, et voilà que la réalité échappe à notre logique pour se réinventer dans un intervalle qui est celui de la poésie dans ce qu'elle a de plus absolu.
Pour revenir à "La fin des temps", j'ai acheté ce roman il y a quelques mois mais je ne l'ai pas encore lu. Je crois que j'attendais le moment propice. Chacun des rendez-vous que j'ai avec Murakami est tellement particulier que je ne voudrais surtout pas le manquer!
PS: "La solitude est un cercueil de verre", quel roman! Depuis que je l'ai lu il n'a jamais cessé de me hanter. »

Je trouve cette expression particulièrement juste : "Un instant de distraction, de relâchement, et voilà que la réalité échappe à notre logique pour se réinventer dans un intervalle qui est celui de la poésie dans ce qu'elle a de plus absolu."

Ensuite Thomas Mann, dont "La Montagne Magique" a suscité en moi une émotion très proche de celle de l'univers de "La fin du monde", bien que ces romans paraissent en théorie très différents.
Une émotion que je pourrai dire par ces vers d'Aragon:

"Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent."

Enfin Apollinaire "J'ai tout donné au soleil/ Tout sauf mon ombre".
Ce motif de l'ombre dans "La fin du monde", qui réactualise le mythe d'Orphée, est tout simplement magnifique.

Tout ceci doit sembler quelque peu décousu. Sans doute les effets secondaires de ma nuit presque blanche et de la prose de Murakami.


Lien : http://solasubnocte.blogspot..
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