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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Lorsque ce roman est édité en 2001, Marie Ndiaye était depuis longtemps sous l'oeil bienveillant de l'intuitif et exigeant Jérôme Lindon. Travailleuse, elle poursuit un chemin médiatiquement discret qui la voit aboutir, avec ce récit ténébreux, à une production majeure (prix Femina) annoncée par ses ouvrages précédents. On sait que depuis, elle a obtenu le Goncourt pour Trois femmes puissantes et que Ladivine (2013) obtient une critique très élogieuse dans la presse spécialisée. Vingt-huit ans après son premier roman, avec quinze titres à son actif (sans compter les oeuvres théâtrales et pour la jeunesse), elle se place parmi les femmes de lettres francophones les plus lues et dont les qualités littéraires ne peuvent plus être ignorées.

"Âmes sensibles s'abstenir", lit-on dans le billet d'une lectrice impressionnée. Nous n'irons pas jusqu'à conseiller un âge minimum mais l'avertissement est de mise: aucune trace de mièvrerie romanesque ici. Les deux enfants Carpe partis à Paris pour poursuivre leurs études n'ont pas été armés par leurs parents, des gens conventionnels, sans chaleur, qui leur ont offert éducation et affection étriquées, pressés qu'ils étaient de profiter d'une vie jouissive au travers d'opérations boursières fructueuses. Très vite, Lazare le fils, en rébellion contre Brive-la Gaillarde, sillon de leur enfance, souvenir obstinément jaune, avec le magnolia obsédant et inodore, délaisse ses études et tourne mal. Il part en Guadeloupe pour se livrer à un commerce louche avec Abel, le mauvais conseiller. Marie-Rose, devenue Rosie, rate ses examens et accepte de travailler dans un hôtel miteux où elle intéresse immédiatement le sous-gérant concupiscent. Elle tombe sous le joug de cet homme qui propose de laisser filmer leur ébats par une sinistre marchande de vidéos pornographiques. Un enfant naît de cette relation trouble qu'elle n'ose fuir: Titi, maudit et jamais accepté par sa mère. Celle-ci subit son destin avec une passivité dérangeante: images bouleversantes d'un gosse qui lui tend désespérément les bras lorsqu'elle revient de marches folles pour le fuir. Désemparée, impuissante, Rosie, à nouveau enceinte accidentellement, emmène son fils afin de rejoindre Lazare en Guadeloupe, croyant naïvement à la réussite qu'il prétend dans ses lettres.

S'ouvre alors le long épisode au sud, éblouissement pénible, soleil, sueur et précarité, avec le nouveau protagoniste antillais Lagrand, sorte de Christ écorché, ami et vain sauveur de Lazare, devenu père entre-temps et auteur d'un crime odieux sur un touriste. La suite du récit est vue à travers ce Lagrand, apparemment stable et fort, mais possédé et meurtri par une relation fusionnelle brisée avec une mère internée. Il perçoit que Rosie, dont il est épris, laisse mourir Titi malade, "son misérable agneau", en négligeant de lui apporter des soins. La perspective de sa disparition semble alléger la jeune-femme et il emporte l'enfant à l'hôpital sans plus s'en soucier. Les parents qui ont tenté de faire du profit en participant aux embrouilles de Lazare sont ruinés, ce qui ne les empêche pas de vivre en Guadeloupe comme des nouveaux bourgeois aux crochets d'un bien nanti. Leur transformation sociale est désopilante, navrante et aucune honte face à l'échec de leurs enfants ne ternit leur insouciance.

Marie Ndiaye fait se retrouver ce petit monde dans un épilogue surprenant et doux amer, où s'écrit la destinée de Rosie et Lagrand.

Au terme du récit, deux réflexions émergent:
1- Il s'agit d'un roman âpre et prenant, qui crie la détresse, dénonce la culpabilité et où des enfants s'anéantissent d'avoir été mal aimés.
2- le destin est un enroulement absurde où les êtres semblent à peine conscients de ce qui se leur arrive en silence et en secret. le roman de Ndiaye déchiffre impitoyablement ce destin sans envergure ni postérité historique, où certains ont la chance, d'autres moins.

Le style de l'auteur d'ascendance sénégalaise s'avère très personnel et demande de se familiariser avec sa phrase longue et un peu syncopée. On lit "entrelacs de phrases pulpeuses et asymétriques" [1] pour la qualifier: on y trouve en effet la densité qui reflète les états d'esprit contradictoires et les situations difficiles, tendues, déconcertantes. L'introspection domine, se manifeste par des monologues intérieurs, des velléités de paroles contradictoires et non prononcées. La narration est exclusive, l'auteur bien cachée ne pointe jamais le bout du nez avec des discours explicatif, car tout est narration qui contribue à une forme d'envoûtement. Certains thèmes reviennent comme des arias de symphonie: la couleur jaune, nuance de trahison et de lâcheté, la blancheur presque insoutenable, la sueur, les gémissements des bêtes, comme autant d'obsessions qui hantent le récit. On rencontre peu de portraits physiques: l'intérieur prime, contribuant à la lenteur de la progression lancinante. Celle-ci alourdit le début du récit qui prend un rythme plus soutenu et passionnant quand Rosie se retrouve en Guadeloupe et qu'apparaît Lagrand.

Le livre refermé, il laisse une impression tenace colorée et poisseuse tandis qu'un soleil grave continue de luire: nous sommes de cette espèce-là qui peut être si triste et décadente, et c'est presque de la honte. Marie Ndiaye n'élude rien, sans pathos ni ostentation tandis que le charme de sa voix opère comme un hallucination étincelante.

[1] Marc Weizmann (Les Inrockuptibles, 6 mars 2001).

Lien : http://www.christianwery.be/..
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L'écriture de Marie N'Diaye, que j'ai découverte avec Trois femmes puissantes, a un pouvoir hypnotique : elle n'est pas facile, elle est faite de répétitions, mais elle est une musique envoûtante qui fait tourner page après page... L'histoire familiale de Rosie Carpe est glauque, racontée en 3 parties : l'arrivée en Guadeloupe avec l'espoir d'une nouvelle vie chez son frère, enceinte et trainant avec elle son 1er enfant, Titi ; la vie passée à Brive-la-Gaillarde et Paris, avec des parents d'une toxicité indéfinissable ; la vie en Guadeloupe de cette famille recomposée - décomposée (au sens "pourrie") sous le regard de Lagrand, adulte abandonné. Peu de lumière dans ce livre : Rosie Carpe n'est pas une héroïne romanesque qui prend sa vie en main, c'est une fille engluée dans un sentiment d'insignifiance ; l'atmosphère est moite. Peu de lumière mais un souffle littéraire indéniable.
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Coeurs sensibles s'abstenir!
L'univers de Rosie Carpe se trouve de l'autre côté du miroir, celui du moi détruit par l'indifférence parentale d'un couple de "taiseux", qui s'enfonce inexorablement dans un dédoublement de personnalité jusqu'à mettre son enfant en danger de mort.
Petite fille mal aimée, soeur admirative d'un "Lazare, mon frère" nul qui l'abandonne à son triste sort, jeune femme grugée et bafouée à laquelle il est plus que facile de faire prendre des vessies pour des lanternes, Rosie Carpe, sans le sou, engrossée "d'un saint enfant" car elle "ignore ce qui l'a rendue enceinte", débarque (pour réssusciter un Lazare idyllique) dans la brousse Guadeloupéenne, son Titi "ni gai", "ni pétulant", "ni léger", de six ans, sous le bras en se disant les filles comme moi,envahies d'enfants,l'état les soutient à bout de bras plutôt qu'elles deviennent folles et brutales".
Le reste est gris et glauque comme "les affaires" de Lazare, comme la poisse qui colle aux roses semelles de Rosie Carpe ou le sort poignant d'un Titi qui, toujours rattrappé in extrémis par de drôles d'énergumènes, se sort des griffes de l'inconscient Gros Minet.
Un roman fort (prix Fémina2001) sur une trame psychologique dure, qui prend aux tripes!
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Avec Rosie Carpe, on est loin de l'héroïne de roman qui prend son destin en main et qui a le pouvoir de décider de ce que sera sa vie. C'est tout l'inverse. C'est une histoire crue, triste et un destin peu enviable qui nous est dépeint par Marie Ndiaye. Son style littéraire est quelque peu fastidieux mais terriblement efficace. A lire uniquement si vous voulez sortir des sentiers battus.
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Ce roman m'attendait depuis longtemps dans un coin de ma bibliothèque.
Je ne sais pas pourquoi j'ai tant attendu, surement mon côté écureuil qui met de côté de longues et belles heures de lecture pour les moments propices.

C'est un choc, une claque... Je ne m'attendais pas à être si secouée par l'épopée de Rosie Carpe.
Rosie Carpe est une jeune femme seule et perdue, sans appuis. Totalement livrée à elle même, elle vie rapidement une existence sinistre, aussi grises que le souvenir de son enfance est d'un jaune étouffant. Elle est dans une sorte d'apathie, au bord de la folie.

L'écriture de Marie Ndiaye est proche d'un conte moderne. le rythme et le phrasé vibrent d'une énergie intense. Elle nous met face à la complexité des êtres, sans moral, sans réponses toutes prêtes. Il y a des réflexions, des visions sur le racisme qui font mouche, qui ouvre les yeux sur des systèmes de pensées ordinaire.

Un grand livre.

À lire sans tarder si il se trouve posé dans un coin de votre bibliothèque...
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Ce roman de Ndiaye est peut être le plus exigeant de ceux que j'ai lu d'elle, et pas seulement à cause de sa longueur inhabituelle de près de 400 pages. Les ressemblances sont bien là : personnages peu sûrs d'eux, en quête de parents absents et/ou fluctuants, situations à la Kafka ou obscurités à la Faulkner, intrigue qui parfois fait du surplace ou au contraire fait un bond en avant sans explications . Cette Rosie Carpe, après une enfance et une adolescence morne et protégée passée à Brive, en compagnie de son frère Lazare, va faire ses études à Paris. Son frère se clochardise, elle rate ses études, trouve un boulot dans un hôtel de banlieue, tombe enceinte de son supérieur hiérarchique. Son fils Titi naît de cette liaison. le roman débute alors que Rosie et Titi, âgé de cinq ans, sont à l'aéroport de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe. Rosie est là, persuadée que Lazare, et ses parents, installés depuis quelques années vont l'aider à sortit de l'impasse dans laquelle elle se trouve. Elle est accueillie à l'aéroport, après une longue attente, par Lagrand, un homme noir d'une trentaine d'années, qui aura une grande importance dans le roman.Ndiaye se confronte dans ce roman aux rapports de pouvoirs entre blancs et noirs. Titi est quasiment une figure christique de l'enfant sacrifié. On le retrouvera pourtant vingt ans plus tard parfaitement installé dans cette société semi coloniale. le style de Ndiaye se fait ici plus heurté que dans "Un temps de saison" par exemple, ressasse jusqu'à l'obsession certains mots ou états mentaux de ses personnages... Les odeurs sont particulièrement décrites. Un nouveau choc de lecture, donc, pas forcément agréable mais dont les sensations devraient me rester en mémoire.
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Rosie, une femme complexe et intrigante, mais mémorable, comme l'ensemble des  personnages  du roman.  Chacun porte une part de mystère et de vulnérabilité. Rosie incarne une force intérieure fascinante.  Sa quête pour trouver sa place dans un monde en constante évolution est à la fois touchante et profondément humaine.

Les mots de l'auteure tissent une toile narrative enchanteresse, mais tellement juste, qui explore les thèmes de l'identité, de la famille, de l'amour et de la résilience.
Les émotions et les personnages sont richement nuancés,  les rendant  tout simplement marquants.

L' univers de Rosie ainsi posé,  la frontière entre le réel et l'imaginaire semble poreuse. Elle est pourtant si descriptive  du réel et du quotidien  de certains arrivants sous les tropiques...











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