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Critique de Nemorino


J'ai lu ce livre en russe (ma langue maternelle) quand j'avais dix-huit ans. Récemment je l'ai relu en français et voilà pourquoi. Depuis que je vis en France plusieurs fois j'ai essayé de faire découvrir à mes proches ou connaissances la littérature russe que ce soit Essenine ou Nabokov, mais ils ne se laissent pas séduire me disant « je ne suis pas littéraire » ou « c'est trop triste, la littérature russe », ou même « il ne se passe rien ! », « j'ai lu mais je n'ai rien retenu ! » du coup, je lis moi-même mes cadeaux recalés ! Heureusement, avec la même joie !
Je me rappelle que Nabokov, c'était ma première lecture déstabilisante ! J'ai commencé par hasard par le roman « La défense Loujine » que j'ai abandonné puis c'était le roman « Invitation au supplice » qui m'a même fait pleurer de malaise quoique je l'ai terminé ! Quand on ne connaît que le régime totalitaire où tout semble simple et carré (comme moi, à l'âge où je découvrais Nabokov, entre mes quinze et vingt ans), un récit se développant sur plusieurs couches de sens dans le labyrinthe d'une forteresse dérange forcément et détourne des convictions formées par la pensée unique. Ou tout simplement le fait d'être une adepte pieuse des classiques m'empêchait d'apprécier autre chose. Nabokov, c'était vraiment un écrivain « en biais » pour moi ! Je me permets ce calembour car « NABOK » signifie en biais, sur le côté, de travers !!!
Nabokov a été autorisé en Union Soviétique après Perestroïka. Mais il faisait partie des livres déficitaires (comme Merejkovski, Akhmatova, Boulgakov, tous les beaux livres) que seulement les privilégiés pouvaient acheter, il fallait faire partie des notables, faire partie du Parti, travailler dans une librairie, soudoyer un libraire ! Ou alors ou alors… comme mon père, il fallait apporter des tonnes de papier à recycler, préparer des paquets bien ficelés, faire la queue dans la nuit, dans le froid, sous la pluie, pour les déposer et répondre « Présent ! » Car c'était un club d'amateurs de lecture. Je sais que cela a l'air invraisemblable aujourd'hui mais ces pratiques ont eu lieu !
Après ces premières expériences de Nabokov, mon guide spirituel de l'époque (toujours le même qui surgit de mes autres critiques babelio, un professeur de musicologie, très littéraire) m'a conseillé les romans « le Don » et « Machenka » et cela étaient des lectures jubilatoires ! Ensuite j'ai lu « Autres rivages » où Nabokov s'est cristallisé pour moi en maître des feux follets, des mots-lueurs, lui-même un feu follet !
Il s'agit donc d'une autobiographie de Vladimir Nabokov (1899-1977, romancier, nouvelliste, poète, mais aussi traducteur et critique littéraire qui enseignait la littérature européenne dans plusieurs universités avant de connaître un succès international avec « Lolita »).
Le livre est inspiré par son épouse Véra. Les douze premiers chapitres sont consacrés à son enfance dans une famille cultivée et libérale de l'aristocratie de Saint-Pétersbourg avant la Révolution bolchevique. Les trois derniers chapitres retracent son exil de Russe blanc à Paris, Cambridge et Berlin jusqu'à son émigration aux États-Unis en 1940.
Toutes ses oeuvres publiées dans sa langue maternelle évoquent à travers le prisme de l'imagination le déracinement forcé de Nabokov, la mélancolie du quotidien de la communauté russe émigrée en Allemagne, les paysages d'une enfance heureuse, à jamais perdue. Dans le méta-roman le Don, (roman qui traite de l'écriture d'un autre roman), Fiodor Godounov-Tcherdyntsev, le héros principal, présente des caractéristiques biographiques de l'auteur tout comme Lev Glebovitch Ganine, personnage principal du roman « Machenka » ! Ils incarnent le même caractère dont je tombe folle amoureuse (amoureuse jusqu'aux oreilles, en russe !).
L'écrivain parle avec admiration de son père, pour lui, c'est un héros ! Son père était professeur de droit, criminologue et homme politique libéral connu, membre fondateur du Parti constitutionnel démocratique, élu à la première Douma d'État de l'Empire russe. C'était un opposant à l'autocratie, il était même arrêté quelques semaines. Après la révolution de février 1917, il était ministre sans portefeuille du gouvernement Kerensky. Appartenant à la noblesse russe il put offrir à Vladimir une enfance princière, dans des demeures princières et une instruction princière parfaitement trilingue (russe, anglais, français) ! Il offrit aussi à sa famille de nombreux séjours dans différents pays européens : Wiesbaden, Biarritz, Bad Kissingen etc. (Vladimir Nabokov décrit avec détails des lumières nocturnes qu'il apercevait par la fenêtre des trains de luxe, et je ne sais pas pourquoi mais le raffinement de ces passages du livre m'a beaucoup marquée !) Son père pratiquait le vélo dans ses propriétés, adorait jouer au tennis, s'adonnait à la chasse aux papillons, une passion qu'il transmit à Vladimir. Il possédait une collection fascinante de lépidoptères… Pour moi, c'était une lecture si palpitante que, depuis ma première lecture, j'en garde une parcelle au quotidien, une parcelle que rien ne supplante ! le père de l'écrivain mourut en 1922 assassiné par un extrême droite russe au cours d'un meeting politique à Berlin. Voilà pourquoi le thème de la mort du père, dans l'oeuvre de Nabokov, renvoyant à une souffrance vécue, est un thème si sensible.
La mère de l'écrivain qui se passionnait pour la cueillette des champignons et qui avait un goût vif pour les teckels, est décrite d'une façon très touchante. Elle n'avait que l'amour comme remède, comme foi, comme savoir ! Je suis émerveillée de la pureté des souvenirs de Nabokov lorsque je lis cela : « Aimer de toute son âme et, quant au reste, s'en remettre au destin, telle était la règle simple à laquelle elle obéissait. " Vot zapomni (N'oublie pas cela)", disait-elle, sur un ton de conspiratrice en attirant mon attention sur tel ou tel objet de son amour, à Vyra -- une alouette montant dans le ciel lait-caillé d'un jour couvert de printemps, des éclairs de chaleur prenant des instantanés d'une ligne d'arbres au loin dans la nuit, la palette de feuilles d'érable sur le sable brun, les empreintes cunéiformes des pas d'un petit oiseau sur la neige nouvelle. Comme si elle sentait que dans peu d'années, toute la part tangible de son univers périrait, elle cultivait un état d'attention extraordinaire... »
Il y a encore une pensée de ce livre qui m'a particulièrement marquée : « Je m'adresse aux parents : Ne dites jamais : « Allons, dépêche-toi », à un enfant. » Une phrase difficilement applicable (car il faut se socialiser !) mais j'y pense tout le temps ! Si on veut en faire un Nabokov, un Picasso ?!
Quoi dire d'autre ? Lisez vous-mêmes !


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