Citations sur La part des flammes (161)
Il avait découvert les coutures de son personnage, la violente imperfection de sa nature. L'orgueil avait toujours été sa force et son talon d'Achille, et il en payait aujourd'hui le prix. Son idéal de vie, son intransigeance envers lui-même et envers les autres, toutes ces constructions de son orgueil avaient sombré avec lui. Désormais il se verrait forcé d'accorder aux autres le droit de se tromper et de s'abîmer comme il s'était abîmé.
La deuxième sentence n'en finissait pas de lui dévorer le cœur avec l'infatigable cruauté des châtiments antiques. Elle disait "tu n'en finiras pas de te sentir séparée de cet homme, cette déchirure ne s'estompera pas avec le temps à la manière d'une jambe coupée dont l'absence ne cesse de démanger. Le monde effacera ton souvenir mais tu ne pourras chasser le sien. Il t'obsèdera sans relâche, et le manque que cet amour humain a creusé en toi au point de t'écarter de moi ne se comblera jamais.
Violaine de Raezal se disait que s'il était bonheur possible sur cette terre, on ne pouvait y accéder qu'en laissant mourir certaines choses en soi. Toutes ces choses lourdes et encombrantes qui étaient un grenier plein d'objets cassés et poussiéreux que l'on n'osait mettre au rebut, mais qui arrêtaient la lumière.
Il la fixa calmement, et leurs solitudes s'effleurèrent et se reconnurent.
Les cheveux restaient ce trésor des femmes qui nourrissait la rêverie érotique des hommes, qui serpentait le soir venu au bas de leurs reins, que les peintres habillaient de lumière et les poètes d'assonances luxueuses. Une femme sans cheveux était une hérésie, une magicienne au mécanisme éventré.
Les anges ne les avaient pas serrés dans leurs bras pour apaiser leurs dernières minutes sur cette terre, pas plus qu’ils n’avaient arraché les fillettes dansant dans le brasier pour les porter jusqu’au Ciel dans un bercement d’ailes.
La terre était pleine de créatures saturées d’elles-mêmes qui prenaient plaisir à vous foudroyer pour les fautes qu’elles s’interdisaient, les libertés qu’elles prenaient dans l’ombre, les extases qui venaient mourir près d’elles sans qu’elles se soient permis d’y goûter. Châtier était le tonique qui ranimait leur cœur exsangue.
Les livres lui avaient enseigné l’irréverence et leurs auteurs, à aiguiser son regard sur ses semblables ; à percevoir, au-delà des apparences, le subtil mouvement des êtres, ce qui s’échappait d’eux à leur insu et découvrait des petits morceaux d’âmes à ceux qui savaient les voir.
Quand elle entendait dire que les romans étaient de dangereux objets entre les mains d’une jeune fille, elle ne protestait plus. Puissants et dangereux, oui, car ils vous versaient dans la tête une liberté de penser qui vous décalait, vous poussait hors du cadre.
l'important était que sa fille ne finît pas ses jours seule et rancie comme ces vieilles filles confites en dévotion qu'on conviait aux déjeuners de famille dominicaux et que les enfants refusaient d'embrasser. Même s'il était peu démonstratif, il l'aimait et ne souffrait pas qu'elle devînt une laissée-pour-compte, ironiquement nimbée du mépris avec lequel elle avait repoussé ses prétendants. Il préférait qu'elle pestât sa vie durant contre un mari imparfait. Ce destin avait plutôt bien réussi à sa mère...