Dans les courtes semaines qu'il a passées à Rome, en trois fois, dans l'hiver et le printemps de 1509, Érasme s'est donné tout entier à l'étude des mœurs et aux plaisirs de l'amitié. 11 a vécu de la vie romaine, et nous pouvons nous figurer assez exactement ses relations et l'emploi de son temps^. Il arrivait précédé d'une renommée déjà brillante; aussi fut-il entouré et fêté par un groupe nombreux d'humanistes et de lettrés. Il retrouva Scipion Gartéromachos , attaché quelque temps à la maison du cardinal Galeotlo Franciotti délia Rovere, neveu de Jules II, et qui venait de perdre son protecteur. Il noua avec lui une intimité de tous les instants, interrompue seulement par le départ de Gartéromachos pour Bologne. L'aimable helléniste entrait chez lui à l'improviste, l'après-midi, et ils s'oubliaient tous deux de longues heures à causer de littérature.
Mon âme est à Rome, écrit Érasme sur ses vieux jours, « et nulle part je n'aimerais mieux laisser mes os. — J'ai quitté l'Italie malgré moi et à regret, dit-il ailleurs, ... il n'y a aucun peuple qui me plaise autant que les Italiens. On peut prendre au sérieux ces témoignages souvent répétés, ces retours mélancoliques vers un pays et vers un temps où Érasme fut heureux.
Jamais le grand humaniste ne s'est senti mieux chez lui qu'en Italie, et peu d'étrangers ont goûté comme il l'a fait le charme de la vie romaine de la Renaissance. Le voyage d'Érasme , qui s'est prolongé pendant près de trois années, a laissé dans son esprit des souvenirs ineffaçables et des regrets sans fin. Il a exercé sur la formation de son esprit et l'achèvement de sa personnalité, une influence qui n'a pas été assez remarquée, croyons-nous, même par les écrivains qui ont le mieux parlé de lui.