Marc Alyn dans son livre sobrement intitulé "
Venise, démons et merveilles" écrit :
Peu à peu, le puzzle se complète et nous voyons apparaître ce qui était dissimulé ou que notre regard se refusait à percevoir. À quoi rêvaient les constructeurs cachés en élaborant ces liturgies d'ombre, à la fois cosmologie ésotérique et numérologie du demi-sommeil ? Avec ses obélisque dressés jusqu'aux faîtes et ses trompe-l'oeil si spacieux qu'un ange s'y perdrait, Venise tient du labyrinthe et de l'échiquier. Seuls les revenants endurcis se déplacent à l'aise sur ces cases de mandala communiquant avec des univers virtuels accessibles uniquement par le pouvoir de l'imaginaire.
Lecture entamée de concert avec ce tome 1 de la trilogie "La Maison des jeux" , qui a été mis sur mon chemin littéraire par une somptueuse critique.
Cette critique mettait en exergue 3 mots beau, réjouissant et brillant. J'ajouterai intriguant et envoûtant.
Quand on y pense c'est fou le nombre d'expressions qui font référence au jeu sans forcément que l'on s'en rende compte :
L'échiquier politique ;
Jouer sa vie sur un coup de dés ;
Faire le jeu d'untel, entrer dans le jeu d'untel,
Être sous la coupe de quelqu'un ;
Damer le pion et j'en passe.
Le choix de Venise est propice à ce premier titre, cité des mystères, aux personnages qui se dissimulent derrière un masque est-ce pour mieux cacher son jeu ?
Dans quelle autre ville placer une telle intrigue. Tant elle paraît simple et abordable comme l'est cette ville. Mais tant elle est multiple, complexe et insaisissable.
Multiple car de prime abord car
"Il a toujours existé des maisons où se pratiquent des jeux, mais ceci n'est pas un vulgaire tripot, pas un établissement où l'on jette des dés ou abat des cartes sur une table. Oh, certes, si tel est le dérivatif que vous cherchez, vous pouvez jouer dans le cadre de la Basse Loge avec les hommes de peu, ceux qui ne misent qu'argent et fierté. Mais si vous êtes assez doué — si vous avez la volonté de gagner —, franchissez donc les portes d'argent qui mènent au lieu élevé où nous autres, âmes antiques et joueurs madrés, déposons nos enjeux de vie et de sang, de vue et d'âme. Je pourrais vous parler des parties que j'ai jouées — des châteaux que j'ai pris et tenus, sept mille hommes sous mes ordres pour protéger de mon adversaire un drapeau ! Des rois que j'ai hissés sur le trône ou renversés, des monuments que j'ai érigés, des risques que j'ai courus sur les marchés financiers, propulsant le joueur que j'étais vers un monopole du pétrole, du bois, du fer, des hommes. Des meurtriers que j'ai poursuivis et des occasions où j'ai été traqué ; des courses que j'ai entreprises à travers le monde, vingt hommes d'équipage et une unique caravelle sous mon commandement, des pièces ou des hommes étranges que j'ai joués pour obtenir la victoire." (citation extraite du tome 2).
Complexe car on est libre d'y voir un simple jeu de pouvoir, imbriqué dans d'autres jeux échecs ou tarots où selon le moment auquel le coup sera joué, l'issue ne sera pas la même. Les mises ne sont pas les mêmes, les capacités requises ne sont pas le mêmes.
Il semble exister plusieurs tiroirs, plusieurs compartiments un peu comme la vie elle-même. Doit-on voir dans ce jeu une dimension plus philosophique qu'il n'y paraît ?
Certains passages sont juste magnifiques et intriguant s à souhait :
" Pourtant, retournons-nous. Qu'y a-t-il à présent là qui ne représente un menace ? Les ruelles trop sombres, les murs trop rapprochés, l'eau qui vous èche les pieds, affamée, assoiffée de sang. Combien d'os ont-ils été dépouillés de toute chair par les poissons aux larges yeux qui échappent aux asticots et à la canne à pêche pour se gorger en de plus verts pâturages ? Combien des corbeaux nichant dans les plus hautes tours ont-ils, lors d'une nuit d'hiver gelée, fondu du ciel pour arracher un oeil fixe à un cadavre qui, le lendemain, n'aura pas de nom à inscrire sur sa pierre tombale ? Beauté et sang : le sang sublime-t-il la beauté ? La peau est-elle plus pâle lorsqu'elle est inondée de rouge ? Ou est-ce le sang lui-même qui est beau : les hommes flamboient sans aucun doute d'autant plus fort lorsqu'ils savent risquer d'être noyés le lendemain.
Insaisissable comme l'est Venise
Venise est un joyau de contradictions. Installés au bord de la lagune, vous et moi, nous observons le clair de lune plissé sur les eaux, sous un ciel piqueté d'étoiles. Comme les craquements des bateaux parviennent à nos oreilles, le parfum des poissons qui rissolent dans la poêle à nos narines, comme nous entendons les rires lointains et sentons la chaleur qui s'échappe d'une porte ouverte, nous comprenons que cette belle cité est sans conteste le paradis, et nous nous émerveillons de la grandeur des oeuvres humaines."
Une véritable ode aux sens, ne serait-ce pas un clé de lecture également les sens aux aguets pour donner un sens à ce jeu ?
Et puis il y cette combinaison échecs/tarot.
Les échecs synonyme de stratégie, de réflexion, d'anticipation. Ce rois de Jeux et jeux de Rois...
Le tarot et ses cartes aux figures symboliques, qui en fonction de leur tirage n'ont pas la même interprétation, le même signification. Ces cartes tirées au hasard qui s'expriment par des allégories qu'il faut ou connaître ou déchiffrer...
Et puis enfin ces narrateurs invisibles ne s'agit-il pas, d'anges comme y fait référence
Marc Alyn :
"Le premier miracle de Venise, c'est la multiplication des anges. Ils vous attendent dans la pénombre des chapelles ou vous épient depuis les corniches des palais, acrobates au sourire de chat soupesant un oiseau. L'oeil en voit de toutes les couleurs, l'oreille capte à foison vocalises et roulades modulées par le choeur innombrable des anges musiciens qui vont et viennent à leur guise dans l'air de la plus mélodieuse des cités."
En tout cas ce livre fut une très belle découverte, qui s'est enchaînée par la lecture su second tome, et une attente du troisième afin d'y trouver les clefs. Certainement par une relecture globale.
" Mais la vérité la plus terrible est peut-être la suivante : dans une cité aussi soumise aux marées que Venise, il est simplement trop difficile de trouver amour, loyauté et vérité ; on investit donc son coeur en d'autres vertus — passion, beauté, poésie et chanson —, en s'imaginant les ombres de la première aussi grandioses que l'amour lui-même."
Pour y trouver peut-être des réponses, à moins que le pion soit le lecteur... Et que le lecteur ne soit le pion sur l'échiquier de la vie...
Une chose est sûre dans ce premier volume on y trouve passion, poésie et beauté
Et ce livre fut le fruit d'une triple résonance : une critique, un livre sur Venise en cours, deux perles qui ne font qu'une sur un collier littéraire qui s'étoffe au fil du temps...