Amélie Nothomb a l'art et la manière de sortir des noms peu communs de son chapeau. Ici, l'héroïne s'appelle Pannonique et elle incarne le bien, la beauté, la pureté et la vertu – qualités confrontées à l'oeil avide et froid de la caméra et aux yeux avides et faussement indignés des téléspectateurs qui ne peuvent s'empêcher, tout choqués qu'ils sont, de suivre chaque jour le calvaire des prisonniers de « Concentration ».
« Concentration » est une émission de télé-réalité d'un genre nouveau : il permet aux téléspectateurs de suivre le supplice, puis la mort de prisonniers choisis de façon complètement arbitraire. Ces derniers sont battus, torturés, insultés, affamés et finalement tués par les kapos. L'émission s'appelle « Concentration » car elle a pour modèle les camps de concentration nazis. Autant dire qu'il s'agit là d'un « show » qui a placé la barre très haut au niveau de la cruauté et de l'abject. Mais ce n'est pas tant la cruauté et l'abject de ce concept que condamne l'auteure. C'est aussi et surtout le voyeurisme dont font preuve les téléspectateurs. Ils se disent indignés mais ne peuvent pas s'empêcher de regarder. résultat : les audiences crèvent le plafond et personne n'arrive plus à se remettre en question. Car peut-on être témoin d'horreurs pareilles sans avoir envie de bouger le petit doigt ? Sans vouloir faire cesser ces souffrances ? Peut-on laisser primer la curiosité malsaine sur l'empathie ?
D'emblée, ce roman m'a rappelé le tout premier épisode de la série Black Mirror où des millions de gens s'agglutinent, malgré leur « dégoût », devant leur poste de télévision pour assister en direct à l'acte choquant que doit accomplir le Premier ministre britannique qui est victime d'un chantage odieux. Dans
Acide sulfurique, le principe est un peu le même : les images sont terribles, choquantes, mais la curiosité, le voyeurisme priment. Ce n'est donc pas tant l'émission en soi qui est dénoncée mais le fait qu'elle soit si regardée. En effet, si elle ne faisait pas d'audience, elle n'existerait tout simplement pas. Alors qu'est-ce qui est pire : le fait d'avoir créé cette émission de télé-poubelle ou le fait de la regarder ? Vous avez quatre heures.
Bref, voilà un roman court mais efficace. le propos est intéressant, dérangeant parfois et c'est très bien. Dommage que la fin arrive si vite et soit un peu bâclée à mon goût.