!Je ne m'attendais absolument pas à un tel roman, très dérangeant, dès les premières lignes… « Vint le moment où la souffrance des autres ne leur suffit plus ; il leur en fallut le spectacle ». le ton est donné, d'emblée.
Des producteurs de télévision ont l'idée extraordinaire de créer une émission de téléréalité appelée, en toute simplicité, Concentration. L'idée : faire le show pour le public. « le chiqué, le mièvre, c'est fini ». Vivre l'horreur en direct, par procuration, en voilà un concept ! Ainsi, sont raflées à l'aveugle dans les rues des personnes, sans aucun critère précis de sélection, sauf celui d'être humain. Elles sont alors soumises à des conditions de vie et de mort proches de celles des camps de concentration, à la différence près – et pas des moindres – que chaque instant est filmé. Les prisonniers sont déshumanisés, perdent leur identité au profit de matricules dont ils sont affublés. Ils se tuent à la tâche jour après jour. Certains d'entre eux sont supprimés sur la simple volonté de kapos qui ont ainsi l'occasion d'exercer sur eux leurs plus bas instincts. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, personne ne réagit face à cette ignominie, personne ne se révolte : ni le public, présent en masse aux rendez-vous télévisuels, ni les personnes dans le camp, ni les dirigeants du pays… Si certains médias prennent néanmoins position et s'offusquent de la situation, l'audimat n'en croit que davantage ! Une hypocrisie écoeurante où la critique du concept n'empêche en rien une adhésion massive des téléspectateurs.
Seule lueur d'espoir dans toute cette noirceur, une jeune femme, la seule qui résiste. Matricule, CKZ 114, Pannonique de son vrai nom bénéficie d'un mental incroyable. Usant de son intelligence, de son courage, et de son sens de la stratégie, elle parvient peu à peu à donner de l'espoir à ses congénères et même à infléchir l'affreuse kapo Zdena, âgée de 20 ans tout comme elle. Celle dernière avait vu en l'expérience une manière de se valoriser pour la première fois de sa vie. Mais sa cruauté s'est rapidement heurtée au magnétisme incarné par Pannonique dont elle tombe éperdument amoureuse. Souhaitant l'épargner, elle expérimente plusieurs voies mais se heurte à son inflexibilité. Pannonique intègre en effet rapidement le fait que l'émission n'existe qu'en raison de l'attente du public qui en redemande toujours plus, jusqu'à faire de ce concept d'émission les jeux du cirque des temps modernes, où les spectateurs sont sollicités pour dire quels sont les prisonniers qui doivent être éliminés. Devenue son égérie, elle saisit alors sa chance en interpelant directement le public grâce aux caméras la filmant et en influant sur la personnalité de Zdena, lui faisant réaliser peu à peu la monstruosité de la situation.
Amélie Nothomb avait-elle le droit de banaliser en quelque sorte la shoah pour mieux dénoncer la téléréalité et les risques qui y sont inhérents ? le livre a fait débat sur ce point lors de sa parution. Mais à la lecture de ce livre, je ne suis pas certaine que l'auteur ait réellement souhaité comparer les deux univers. Elle s'est davantage livrée à un récit de science-fiction visant à la prise de conscience d'une réalité, celle de la déshumanisation liée aux programmes de téléréalité notamment.
Une provocation dérangeante mais qui a le grand mérite de poser de bonnes questions : où est la morale ? Qui sont les plus monstrueux au final des kapos ou des spectateurs ? Quid de la démocratie et quelle est la place de la religion ? Pas mal de pistes de réflexions dans ce court roman pour chaque lecteur, particulièrement bienvenues pour les plus jeunes d'entre eux.
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