« Après l’accident, pas question de me remettre à aimer quelqu’un. Pourquoi ? Parce qu’ils s’éloignent à tire-d’aile, vous laissant seule. Trop risqué. » (p. 34)
T-Man roule si vite, dans son 4x4. Et il rit, déboîte sur les voies rapides avec de brusques embardées, fait des queues de poisson aux autres véhicules. Sur la banquette arrière, je crispe mes poings sur ma bouche, pour que personne ne devine ma peur, ni ce à quoi je pense : Ils ne savent pas. Ils ne savent pas quel effet ça fait de perdre le contrôle de la voiture qu'on conduit, de partir en vrille et de se crascher ; de se déchirer à tel point la gorge à force de crier qu'on a l'impression de cracher du feu. Ou ce qu'on ressent pendant une fraction de seconde où l'on saisit qu'on a perdu le contrôle et qu'on ne le reprendra pas.
Mes amis ne savent pas.
Mais je ne suis pas certaine de vouloir être aimée. On finit juste par souffrir au bout du compte.
Le docteur de la clinique à Tarrytown m'a dit que la codéine, c'est fort, et qu'une fois mon traitement achevé, basta. Si j'ai mal quelque part, je pourrai prendre de l'aspirine. "Ça sera un peu difficile au début, Jenna, mais tu t'y habitueras", elle m'a dit avec un sourire, alors j'ai commencé à trembler, je me doutais de ce qui allait m'arriver.
- Laisse-la te traverser, Jenna, dit Crow.
- Que je laisse quoi me traverser ?
- Ta peur.
- Elle ne me traverse pas. Elle s'incruste.
- Fais le vide en toi, comme la lumière. Que la peur te traverse. Ne la laisse pas
s'incruster.
- Je ne peux pas...
- Moi, je fais le vide en moi. C'est comme çà que je franchis l'obstacle.
En août, papa est revenu à Tarrytown, me rendre visite au centre de rééducation.
Tout sourire, à me dire que j'étais belle comme un coeur. Il reconnaissait enfin sa fille.
Il espérait, disait-il, que je lui permettrais de "se rattraper"-pour tout ce temps où il n'avait pas fait partie de ma vie.
Dans le bleu c'était l'endroit le plus heureux. Dans le bleu c'était où j'attendais quand je fermais les yeux.
Après l'accident, mes blessures resteraient secrètes, je l'avais décidé.
Et on ne me ferait plus jamais mal, je l'avais décidé.
Quand les gens entrent dans ta vie, il y a toujours une raison, vois-tu. Ils ne la connaissent peut-être pas eux-mêmes. Tu ne la connais peut-être pas toi-même. N'empêche qu'il y a une raison. Forcément.
[…] c’était ainsi qu’elle m’avait sauvé la vie.
Sauvé la vie pour quoi faire, aucune idée.