Elle avait les jambes longues, souples et musclées. Des jambes lisses, rasées. Hazel Jones se rasait avec maniaquerie les jambes, les cuisses, les aisselles, et toutes les parties du corps qui risquaient de la trahir par des poils sombres, rudes et plutôt frisés. De même que Hazel Jones mangeait frugalement pour rester Hazel Jones, qui était mince, très féminine et très jolie.
La vérité la plus profonde de l’âme américaine est qu’elle a la superficialité d’une bande dessinée et chez Zimmerman Frères, derrière son comptoir au plateau de verre brillant, Hazel Jones attendait, le visage joliment apprêté, le sourire aux lèvres.
« Bravo mon enfant. Si tu joues Czerny comme Mozart, comment joueras-tu Mozart ?"
Zack savait que Hazel Jones avait offensé M. Sarrantini en lui disant que son fils était destiné à être pianiste. Il s’était ratatiné en l’entendant faire une déclaration aussi retentissante au directeur musical.
« « Destiné », madame ? Et par qui ? »
Après une remarque aussi sarcastique, un autre parent se serait tu, mais Hazel Jones avait dit de sa voix liquide et sincère : « Par ce que nous avons tous en nous, monsieur Sarrantini, et que nous ne pouvons connaître qu’en l’exprimant. »
Rebecca était assise sur la vieille chaise démodée que Tignor avait tirée près du lit, et il était assis au bord du lit, penché vers Rebecca, massif, dégageant une odeur de sueur mâle, de désir mâle, de bourbon et de tabac. Elle se disait que c’était sa taille qui l’attirait chez lui, le fait qu’avec lui une fille robuste comme elle pouvait se sentir aussi précieuse qu’une poupée.
Il n’y avait rien de doux, de malléable, de fondant chez elle ; elle se trouvait plutôt dure, robuste. Elle avait un visage frappant, de grands yeux enfoncés, très sombres, des sourcils aussi épais que ceux d’un homme, et une attitude assez masculine quand elle affrontait les autres. Elle avait un mépris viscéral pour le féminin. Mais il y avait son attachement pour Tignor. Elle ne voulait pas être Tignor, elle voulait être aimée par lui. Et puis Tignor n’était pas un homme ordinaire, selon elle. Cela mis à part, elle méprisait profondément la faiblesse des femmes. Elle en avait honte, elle en était furieuse. Car c’était l’éternelle faiblesse des femmes, la faiblesse de sa mère, Anna Schwart. La faiblesse d’une race vaincue.
Son mari travaillait pour une fabrique de bière. Il était souvent en voyage pendant des jours, des semaines. Il semblait bien s’en sortir dans l’ensemble, mais se plaignait parfois d’être à court de liquide. Il disait que brasser, vendre et livrer bière et ale aux détaillants de l’Etat de New-York était un secteur où la concurrence était sanglante. A la façon réjouie dont Tignor en parlait, on imaginait des gorges tranchées et saignantes. On avait l’impression qu’une concurrence sanglante était une bonne chose.