La guerre est simple : Simple et triste. Les morts pourrissent. Les blessés saignent. Les survivants pleurent.
Pour arriver au paradis des oiseaux, il fallait traverser la lune. Un désert jaune coupé de temps en temps par des souvenirs de rivières. Devant le lit vide, la mule renâclait. La caresse un peu brutale d'une branche d'acacia la rappelait à ses devoirs.
Les quatorze, douze enfants, deux parents, s'en revenaient chez eux, leur leçon de fierté bien acquise. Nos pieds ne touchaient plus le sol, ni le dos des rochers ni la crête du sable (ou je ne m'en souviens pas). La fierté nous portait. Une fois dans notre lit, la fierté nous berçait. La fierté nous endormait. Et c'est sans doute aussi cette fierté qui faisait rire mon père, de l'autre côté de la cloison, et glousser puis gémir ma mère. De cette fierté, ma (mauvaise) photomaton ne vous dira rien. D'ailleurs, nous les Noirs ou Noires, à vos yeux paresseux de Blancs, nous nous ressemblons tous.
Ce n'est pas difficile pour un homme, après tout, de changer une femme en princesse. Il suffit de lui prouver qu'elle vous est utile, infiniment utile. Et pourtant rares sont ces hommes-là, capables d'avouer ce genre de besoin. Le besoin n'est pas toujours une faiblesse.
-Ma mère est la plus grande guetteuse du monde.
-Et qu'est-ce qu'elle guette, comme animal ?
-Son amour.
La France est blanche : ta peau noire n'y sera qu'une salissure. La France est froide : toi si frileux, tu y grelotterais même en été. La France est grise : les couleurs n'y viennent plus, de peur d'être mangées. La France est sourde et muette : un passant, un voisin ne répondent pas quand on leur parle. Tu sais faire les additions ? Blanche + froide + grise + sourde + muette, ça donne quoi ? Calcule bien. Ça donne l'enfer. Tu ne vas pas me dire que tu préfères l'enfer de là-bas aussi difficultés d'ici ? (P. 229)
Calme-toi, Mariama, le fleuve n'a jamais été aussi calme et tes enfants s'amusent comme les nôtres. Regarde-les, là-bas. Qu'est-ce que tu crains pour eux ? Ah, les crocodiles ? Mais enfin ! Tu sais bien que ces gros animaux méchants se sont tous, et depuis longtemps, changés en chaussures et sacs à main ! Tu frissonnes devant les sacs à main, aujourd'hui ?
Les rêves aussi ont de l'appétit. Surtout ceux qui vous rappellent de trop beaux jours. La mémoire du bonheur attaque les os tout autant qu'un acide.
Les oiseaux et la musique se ressemblent : ils sont la liberté même. Mélodies et vols appartiennent à la même famille, celle des insaisissables. Les mots peuvent tout capturer dans leurs filets subtils, tout raconter, sauf la liberté.
L'inauguration de l'échangeur rongé fut la dernière manifestation officielle de notre Haute Délégation. L'ouvrage d'art exhibait fièrement dans le ciel blanc ses courbes, ses volutes, deux cercles immenses superposés, de gracieuses bretelles d'accès...qui ne débouchaient que sur du sable, mais qui s'en souciait ?