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Citations sur Une histoire d'amour et de ténèbres (102)

L'Europe était à leurs yeux la terre promise défendue, le lieu nostalgique des clochers, des vieilles places pavées, des tramways, des ponts, des flèches de cathédrales, des village perdus, des sources thermales, des forêts, des prairies enneigées.
Des mots tels que "chaumière", "pré", gardeuse d'oies" m'ont fasciné et ému toute mon enfance. Ils avaient le parfum sensuel d'un monde authentique, paisible, loin des toits de tôle poussiéreux, des terrains vagues envahis par la ferraille et les chardons, et des talus arides de Jérusalem, suffoquant dans la chaleur de l'été incandescent. Il me suffisait de murmurer "pré" pour entendre le meuglement des vaches avec leurs clochettes autour du cou et le chant des ruisseaux. En fermant les yeux, je voyais la gardeuse d'oies aux pieds nus, sexy à pleurer, bien avant que j'y entende quelque chose.
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Les pires conflits entre les individus ou entre les peuples opposent souvent des opprimés. C'est une idée romanesque largement répandue que d'imaginer que les persécutés se serrent les coudes et agissent comme un seul homme pour combattre le tyran despotique. En réalité, deux enfants martyrs ne sont pas forcément solidaires et leur destin commun ne les rapproche pas nécessairement. Souvent, ils ne se considèrent pas comme compagnons d'infortune, mais chacun voit en l'autre l'image terrifiante de leur bourreau commun.
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Peut-etre que quelque chose des promesses de l'enfance etait gangrene par une sorte de croute infecte, une croute romantique et toxique associant les muses et la mort? [...] A moins qu'il n'y eut une note bourgeoise-slave, une note melancolique que, quelques annees apres la mort de ma mere, j'ai retrouvee entre les pages de Tchekhov et de Tourgueniev, dans les recits de Gnessin et, dans une moindre mesure, dans les poemes de Rachel egalement. Quelque chose qui avait incite ma mere, la vie n'ayant tenu aucune des promesses de sa jeunesse, a se representer la mort sous les traits d'un amant passionne, protecteur et rassurant, un dernier amant, un amant musagete qui guerirait enfin les blessures de son coeur esseule?
Voila des annees que je traque ce meurtrier, ce vieux seducteur madre, ce mecreant degoutant, deforme par la vieillesse, deguise en prince charmant. C'est un ruse chasseur de coeurs brises, un seducteur vampirique a la voix douce-amere, telle la corde voilee d'un violoncelle, les nuits solitaires: un escroc onctueux, genial, un maitre en artifices, le joueur de flute d'Hamelin attirant derriere son manteau de soie les desesperes et les isoles. Le tueur en serie senile des ames decues.
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Ses dangers ? Et si ce n'était pas en raison des dangers du Levant que ma grand-mère se mortifiait et se purifiait par des immersions brûlantes matin, midi et soir, tous les jours de sa vie à Jérusalem, mais à cause de l'envoûtement, de la sensualité et de la fascination orientales, à cause de son propre corps, de la puissante attraction des marchés débordants, déferlant autour d'elle, à lui couper la respiration au creux du ventre, qui l'envoûtaient, décomposée, jambes flageolantes, par cette débauche de légumes, de fruits, de fromages épicés, ces odeurs âcres, et toutes ces incroyables nourritures gutturales, si curieuses, étrangères et excitantes, et ces mains avides qui palpaient, fouillaient jusque dans l'intimité du fruit et du légume, et ces piments rouges, ces olives assaisonnées, ces viandes grasses, sanglantes, qui, étalant leur nudité rougissante d'écorché, se balançaient au bout de leur crochet, et la profusion d'épices, d'aromates et de poudres, jusqu'à la liquéfaction, voire la syncope, toute la gamme des sortilèges dépravés du monde amer, piquant et salé, où dominaient les odeurs de café vert qui s'immisçaient jusque dans les entrailles, et les récipients de verre remplis de boissons multicolores où surnageaient des cubes de glace et des rondelles de citron, et les portefaix robustes, basanés et velus, nus jusqu'à la taille, dont les dorsaux jouaient sous l'effort à travers la peau tiède et dégoulinaient de sueur irradiant au soleil. Et si les rituels de propreté de ma grand-mère n'étaient qu'une combinaison spatiale hermétique et stérile ? Une ceinture de chasteté antiseptique qu'elle s'était forgée pour s'y barricader de son plein gré, depuis le premier jour, et qu'elle avait fermée par sept cadenas dont elle avait détruit les clés ?
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Mon grand-oncle affectionnait les dédicaces lyriques : chaque année, depuis que j'avais neuf ou dix ans, il ma faisait cadeau d'un volume de l'Encyclopédie junior où il avait écrit un jour en lettres légèrement inclinées à gauche, comme si elles reculaient d'effroi :

Au petit Amos, appliqué et talentueux
pour son jour = anniversaire
avec mes compliments du fond du coeur, qu'il grandisse
et fasse honneur à son peuple,
de la part de
son grand-oncle Yosef
Jérusalem = Talpiot, Lag Baomer 1950

En relisant cette dédicace, à plus de cinquante ans de distance, je me demande ce que mon grand-oncle Yosef savait à mon sujet, lui qui avait l'habitude de poser sa petite main froide sur ma joue avant de me demander, sa moustache blanche me souriant avec bonté, ce que j'avais lu dernièrement, si j'avais terminé l'un de ses livres, ce que les petits Israéliens étudiaient de nos jours à l'école, quels poèmes de Bialik et de Tchernichovsky je connaissais par coeur, quel personnage de la Bible j'appréciais le plus...
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L'héritage, comme le milieu où nous avons grandi et notre statut social, sont des cartes qu'on nous distribue à l'aveuglette au début du jeu. Il n'y a aucune liberté là-dedans: on se contente de prendre ce que le monde nous donne arbitrairement. Mais, poursuivait ta mère, la question est de savoir comment chacun dispose des cartes qu'il a reçues. il y en a qui jouent formidablement avec des cartes médiocres, et d'autres qui font exactement le contraire: ils gaspillent et perdent tout, même avec des cartes exceptionnelles! Voilà où réside notre liberté: nous sommes libres de jouer avec les cartes que l'on nous a distribuées.
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Quantite de choses se sont passees a Jerusalem. La ville a ete detruite, reconstruite, a nouveau detruite et reconstruite encore une fois. L'un apres l'autre, des conquerants l'ont prise, gouvernee quelque temps, et puis ils ont laisse derriere eux des murs et des tours, des encoches dans la pierre avec une poignee de tessons et de documents avant de disparaitre. De s'evaporer comme les brumes matinales sur les pentes des collines alentour. Jerusalem est une vieille nymphomane qui presse ses amants comme un citron avant de s'en debarasser en baillant a s'en decrocher la machoire; une veuve noire devorant ses partenaires en pleine action.
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Comme beaucoup de juifs sionistes de l'époque, mon père était un cryptocananéen : le shtetl comme ses représentants dans la littérature moderne, Bialik et Agnon, l'embarrassaient et lui faisaient honte. Il aurait voulu nous voir renaître en Hébreux blonds, robustes, bronzés et européens et non plus en juifs d'Europe orientale. Mon père exécrait le yiddish qu'il appelait "jargon". Il considérait Bialik comme le poète de la misère, de la perpétuelle agonie, tandis que Tchernichovsky annonçait une aube nouvelle, celle de la génération des Conquérants de Canaan dans la Tempête.

page 49
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Abandonner, c'est trahir.
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Ce sont donc les larmes de Strogoff qui l'ont sauvé, lui et la Russie tout entière. Mais, chez nous, les hommes ne devaient pas pleurer. Pleurer était dégradant! C'était réservé aux femmes et aux enfants. Même à cinq ans, j'avais honte de pleurer, et à huit ou neuf ans, j'avais appris à me dominer pour compter parmi les hommes. Voilà pourquoi, la nuit du 29 novembre, j'avais été si troublé de toucher les joues humides de mon père. Et c'était aussi la raison pour laquelle je n'en avais jamais parlé, ni à lui ni à personne. Et voilà que Michel Strogoff, ce héros intrépide, cet homme de fer infatigable, capable d'endurer toutes les tortures, ne pouvait retenir ses larmes en songeant à l'amour. Ce n'était pas la peur ni la douleur qui les faisaient couler, c'était l'intensité de ses sentiments.
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