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Critique de Isidoreinthedark


J'ai découvert Hugues Pagan en 1998 lors de la parution de « Dernière station avant l'autoroute », un roman à la noirceur ineffable, dont le titre est emprunté à une chanson d'Hubert-Felix Thiéfaine. Une révélation, une claque, une surprise aussi dans la mesure où je pensais naïvement que le genre du roman noir était l'apanage exclusif de mes auteurs anglo-américains favoris, Lawrence Block, James Lee Burke, John Harvey et tant d'autres.

Passé le choc de la découverte, je me suis plongé dans l'oeuvre antérieure de l'auteur, qui, pour avoir été flic pendant vingt-cinq ans connaît son sujet, et cette plongée dans les ténèbres a confirmé mon intuition : il existe un James Ellroy français et il s'appelle Hugues Pagan.

Amateur de romans à énigmes, de thrillers haletants, de « page turner », passe ton chemin. Pagan écrit des romans noirs, des vrais. Son oeuvre s'inscrit dans une époque, dans un contexte social, ses héros multiplient les failles, carburent au désespoir et tentent de garder la tête hors de l'eau en fumant comme des sapeurs, en buvant plus que de raison ou en ramenant à l'occasion une demoiselle au coeur pur et aux jambes interminables dans leur lit. Lire un roman de Pagan est une expérience presque musicale, une plongée dans un monde gangréné par l'hypocrisie, les ambitions dévorantes, les faux-semblants, dans lequel un héros aussi intègre que désabusé, noie son tourment au Jack Daniels, et tente d'éloigner ses démons intérieurs en écoutant Charlie Parker.

J'étais loin de m'imaginer devoir attendre vingt ans pour lire un nouvel opus de Pagan, et la parution de « Profil perdu » qui marquait enfin un retour réussi sur la scène littéraire de l'un des héros récurrents de l'auteur, l'inspecteur principal Claude Schneider et se déroulait à la charnière des années soixante-dix et des années quatre-vingts.

L'idée lumineuse du dernier roman de l'auteur, « Le carré des indigents », est d'effectuer un retour aux sources en situant son intrigue en 1973, dans une ville indéfinie du nord est de la France, évoquant Besançon où Schneider fait un retour inattendu après un passage par l'armée et la guerre d'Algérie dont il ne s'est pas remis. Il prend la tête du Groupe criminel et doit aussitôt faire face à la disparition de Betty, une adolescente de quinze ans au visage de chaton ébouriffé, élevée par un père célibataire aussi modeste qu'honnête.

Dès les premières pages, on se rappelle que Pagan c'est avant tout un style, une manière nonchalante de poser le décor, de dérouler son intrigue, de s'attarder sans complaisance ni nostalgie sur la fin du mandat pompidolien, sur laquelle plane encore l'ombre de la guerre d'Algérie.

A la manière d'Ellroy, l'auteur dissèque au scalpel une bourgeoisie provinciale qui s'apprête à élire Giscard, ses ambitions, ses compromissions et sa face sombre. Il plonge son lecteur dans une époque à la fois proche et lointaine, où régnait une forme d'insouciance, quand midi moins dix sonnait l'heure du pastis, et que les cigarettes s'allumaient à la chaîne. Il s'attarde longuement sur son héros, un flic poursuivi par ses propres fantômes, un trentenaire aux yeux clairs, au visage anguleux, au physique élancé et à la mise toujours impeccable, un homme qui ne laisse jamais la gent féminine insensible et a perdu ses dernières illusions dans une guerre qui n'en était pas une.

« Le carré des indigents » explore le conflit entre un policier aussi intègre que désenchanté et une hiérarchie plus carriériste qu'éprise de justice. le roman s'attarde sur le regard ironique et narquois que celui-ci porte sur des édiles locaux indifférents à la cruauté du sort qui s'abat sur les paumés, les clochards, en bref tous ceux qui ont lâché la rampe. Il revient surtout sur l'obsession pour la disparition de la petite Betty qui menace d'emporter Schneider, un flic à l'ancienne pour qui chaque vie compte, surtout celle des plus faibles, un homme qui marche sur un fil mais qui n'abandonne jamais.

« Le carré des indigents » est un écrin noir dans lequel la magie de la plume déploie avec une forme de grâce délicate les obsessions récurrentes de son auteur et confirme cette fulgurance ressentie il y a plus de vingt ans, lors de la découverte de Monsieur Pagan, l'écrivain qui a redonné ses lettres de noblesse au roman noir « à la française ».
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