Je n'avais jamais lu Pagan. Auteur dont j'avais entendu parler, et dont j'ai découvert l'univers dans une critique de mon ami Isi, Isidoreinthedark, nom prédestiné pour commenter cet auteur. Et il recommandait ce titre. Hasard ou rendez-vous, j'ai trouvé ce roman dans une boîte à livres quelques semaines plus tard. Après cette lecture, je peux vous dire que je ne crois pas au hasard.
Comment vous parler de cette oeuvre ? J'ai rarement du mal à trouver les mots quand un livre me plaît. Par où commencer ?
Le résumé, peut-être. Un homme député se suicide dans une chambre d'hôtel. Un flic, appelé sur les lieux, récupère une enveloppe où pourrait se trouver une disquette, j'ai bien dit disquette, un mot que les les moins de vingt ans ne peuvent sans doute pas connaître ... Aujourd'hui ce serait une clé USB. de multiples personnes recherchent activement cette hypothétique disquette ...
Un résumé pas forcément très original, mais qui ne traduit absolument pas ce qu'est ce livre. L'enquête, les faits, les menaces,, tout cela devient presque anecdotique.
Je pourrais aussi vous parler du personnage principal, un flic, désabusé, qui noie dans l'alcool et dans le Blues son mal de vivre, qui connaîtra quelques parenthèses presque normales avec une femme, mais celles-ci ne suffiront pas. Et pourtant, il a eu une vie avant, il a des fils qu'il ne voit jamais.
Là, vous vous dites, pas très original non plus ce personnage, et pourtant je ne l'avais jamais rencontré, dans mes lectures. de pâles imitations, certes, je dirais gris clair, là noir c'est noir... Il n'y a plus d'espoir.
J'ai mis un peu de temps à faire sa connaissance, il ne se laisse pas approcher facilement. J'ai trouvé le début un peu lent, mais cette lenteur permet de savourer avec toute l'attention méritée l'écriture de l'auteur. Une écriture magnifique, chantant le désespoir avec une poésie incroyable, associant les mots avec un lyrisme qui m'a laissée sans voix J'ai posté quelques citations, j'aurais pu vous mettre des chapitres entiers. On est plongé tout entier dans une atmosphère sombre, parce que c'est souvent la nuit, il pleut, mais sombre surtout parce que le livre chante la mélancolie, la chute, l'abandon de l'espérance.
Et puis j'ai commencé à mieux je ne dirais pas connaître parce qu'il s'y refuse, mais aimer ce personnage. Et les deux, le personnage et l'écriture m'ont emportée, envoûtée sans compter la musique qui baigne ce roman. Comment ne pas entendre dans sa tête un air lancinant de saxo, quelques notes de piano pendant que les pages défilent ...
Merci Isi
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« L'indifférence à soi vient avec l'âge , la fatigue, et la pratique courante du monologue intérieur [……] Lorsqu'on tire de la main droite , c'est l'oreille gauche qui devient sourde . Certaines symphonies de Malher , tout comme Prague de Mozart , sonnent quant à elles avec l'ampleur terrifiante , la clarté angoissante de jardins à la française hantés par la mort… » .
« Quand même , le temps se levait par l'ouest et on entrevoyait ,sur la droite , au loin , une exquise écharpe de bleu très pur, doux et lointain , au ras de l'horizon , toute frangée de nuages parme » .
« L'automne aux doigts tachés d'or et de rouille s'était encore un peu attardé autour .. »
Pourquoi ces citations qui n'ont rien en commun?
Parce que cet auteur, en vrai styliste , est capable de ciseler un paysage poétique , au lyrisme subtil, que conter le quotidien d'un officier de police judiciaire, dont on ne saura jamais le prénom , un héros amer, désabusé , noir , chargé de lassitude et d'appréhension, blasé , asocial, déshumanisé ,nombre de fantômes le hantent et le milieu où il évolue le révulse .
Les mots me manquent pour qualifier cet homme en train de s'enfoncer dans le sable, gardant en mémoire la plupart de ses hontes,, de ses souffrances , et la trace indélébile de ses lâchetés …
Il est chef de groupe de nuit , à se demander si l'auteur n'a pas vécu ces moments : une très longue descente aux enfers et je ne vous parle pas du vingt et unième chapitre , le dernier, cet homme a un goût prononcé pour la musique classique ,le piano , les cigarettes , en nombre ——- les livres —— point commun avec moi, il en possède plus de trois mille dans sa bibliothèque , il a mal au dos , froid dans les os ——des pensées moroses qui lui viennent de la nuit ——-il ne dort plus vraiment, fatigué des faux - semblants et des mensonges ….
L' ambiance est pesante , le rythme soutenu , l'intrigue : le suicide d'un sénateur passe au second plan, le flic ne croit plus en rien , il n'en a plus rien à faire … le ton est désespéré, il s'abîme en fumant et buvant , un Baltringue qui a perdu son âme , des nuits violentes , lassantes , épuisantes pour ce héros affrontant tout ce que la vie possède de décadent et de morbide …
Des clients venant geindre toute la nuit pour des tapages nocturnes, beaucoup de vols à la roulotte , des petites histoires qui auraient pu attendre le matin pour se régler.
Le lecteur assiste à des scènes d'une crudité incroyable , une arrestation musclée au Nord Parisien, l'incendie effroyable de réalisme d'un squat , l'assassinat terrible de cruauté dévoilée d'une prostituée ….il fait gris , il pleut , un flic perd son âme douloureusement …
Une très grande plume , j'ai failli cesser ma lecture ; bienvenue dans le monde des morts - vivants , mon libraire m'avait prévenue ….
C'est cruel , désespérant ..
j'ai acheté ce roman en août , tardé à le lire .
Ce livre est puissant , noir de chez noir , profond , lent, sombre , amer , d'un lyrisme étonnant, poétique , fort , humain, balayant tous nos accommodements, nos amertumes pas très reluisantes , nos frêles rêves salariés, « nos secrètes cochoncetés , par ce que cela aidait à vivre . » …
À lire pour ceux qui en auront l'audace ou le courage ,.
On termine cet écrit désespéré un peu épuisé ….
Ce n'est que mon avis , bien sûr , comme toujours .
« J'écoute le vent . Pour une raison ou pour une autre , le vent m'a toujours rassuré . C'est comme un grand courant dans le ciel qu'on ne voit pas. Il est plein de milliards d'âmes qui en ont fini de souffrir » .
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« Un homme en train de s'enfoncer dans le sable. » Cette phrase résume parfaitement le roman. Nous assistons à une longue descente aux enfers du héros dont nous savons peu de choses. Profession : inspecteur divisionnaire en charge de la nuit à la « Douze », une division de police judiciaire de Paris. Un goût prononcé pour la musique (classique, jazz, blues), les livres (sa bibliothèque en contient plus de trois mille), l'alcool et les cigarettes. Des douleurs articulaires, un mal de dos et des fantômes plein la tête. Les traumatismes sont nombreux : son expérience de sous-officier pendant la guerre d'Algérie et sa fonction d'officier de Police Judiciaire qui le conduit à côtoyer les morts chaque jour. le héros évoque notamment un accident ferroviaire qui s'apparente à celui de la gare de Lyon du 27 juin 1988 où il a eu pour mission d'identifier des dizaines de victimes.
L'histoire est secondaire. Un sénateur se suicide dans une chambre d'hôtel. Notre policier arrivé le premier sur les lieux du drame est soupçonné d'avoir mis la main sur une disquette contenant des informations compromettantes. Il sera soumis aux pressions de sa hiérarchie et d'officines secrètes. Mais ce qui prévaut, c'est le voyage personnel du narrateur au bout de sa propre nuit.
L'ambiance est sombre, étouffante. Un récit aux tons gris. Une météo pas très engageante :« C'était un jour gris et peu contrasté », « il faisait un froid extrême », « c'était mortellement triste sous la pluie ». Une citation de Cioran en épigraphe annonce la couleur : « Toute existence est, nécessairement, un processus de décomposition. » J'ai été gêné au départ par cette atmosphère étouffante et la succession de sentences, comme par exemple : « Je ne pressentais rien de bien folichon. Nos attachements, pour brefs et limités qu'ils soient, portent à chaque fois la marque d'une lâcheté infinie. ». C'est beau, oui, mais en trop grand nombre, ça devient indigeste. J'ai parfois eu du mal à m'y retrouver avec l'argot policier. Si certains termes sont évidents, d'autres se réfèrent à l'organisation du Quai des Orfèvres ou à celle de la hiérarchie policière et paraîtront obscurs au béotien.
Et puis, j'ai été saisi par les scènes d'une très grande force : l'assassinat d'une prostituée, l'incendie d'un squat, une expédition punitive organisée par un commissaire ripoux, une arrestation musclée dans une cité du nord de Paris, etc. C'est puissant et servi par un style impeccable. Je dirais avec emphase que certains passages sont "céliniens". Les plus réussis sont ceux qui livrent des anecdotes sur des personnages de la rue : une trapéziste de cirque devenue putain, un ancien combattant au visage dévasté par une mine antipersonnel reconverti en pilier de bar, un ancien informaticien chez Gaz de France qui dort dans la rue. Le récit de ces destinées brisées est gorgé d'humanité.
Un roman que j'ai hésité à abandonner et qui finalement m'a comblé par sa puissance sombre et poétique.
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Rien de plus triste qu'un âme égarée.
La mienne, je l'ai paumée à force de trop de morts, de nuits blanches et de café. elle en a eu assez de ce que je lui faisais voir. elle est partie de son côté et moi du mien. Je ne peux pas lui en vouloir. C'était pas une vie pour elle, dans le fond. C'est infiniment plus vulnérable et fragile qu'on le croit une âme. ça a besoin de beaucoup de douceur et de prévenance, et c'est seulement quand on ne l'a plus qu'on se rend compte. Quand il n'y a plus rien à faire que verser dans le fossé et attendre qu'on ferme.
C'est là, dans cette clinique qui n'avait au fond rien d'intolérable ou de réellement inhumain, que j'en ai découvert, de la douleur, de la vraie, de la crue, de l'irrémédiable. C'est là que j'ai connu de quoi il était fait, notre malheur, de tous nos pauvres rêves brisés, de nos tristes petits espoirs bien saccagés. Ce qui fait notre propre malheur, c'est sûr, c'est les petits bonheurs qu'on aurait aimé se passer, ces petites douceurs... L'odeur du jasmin, la mer au crépuscule. C'est de là que vient tout le mal. Il faudrait n'avoir jamais connu d'espoir. C'est comme ça que ça aurait pu être tenable...
Durer, d'ailleurs, c'est seulement la viande qui le veut, l'âme il y a bien longtemps qu'elle a décroché, qu'elle a dévalé en pente douce, sur la pointe des pieds, le mince chemin de la vie, qu'elle s'est perdue de trop de souffrance et d'amertume, de trop de clairvoyance, surtout. De tristesse. Rien de plus triste qu'une âme égarée.
J'ai repensé à la femme, de très loin, tout en vidant un vieux fond de scotch. Elle avait pour elle des yeux splendides, de la couleur de la mer au crépuscule, juste après l'orage, mais c'étaient ses yeux à elle et son existence à elle, aucun doute là-dessus. Ses propres seins et ses désirs, ses ambitions et ses espoirs. Aucune place pour quoi que ce soit d'autre.
Quelque part dans notre cerveau se niche une fraction de mémoire bien embarrassante. Elle garde emmagasinées la plupart de nos hontes, bien des souffrances et la trace de chacune de nos lâchetés. Elle est le minutieux comptable de nos renoncements, le témoin à charge de notre déchéance.
Extrait du livre audio « le Carré des indigents » de Hugues Pagan lu par Cyril Romoli. Parution CD et numérique le 15 mars 2023.
https://www.audiolib.fr/livre/le-carre-des-indigents-9791035410988/