«
Fanny » commence pile, à la seconde près, là où «
Marius » s'est terminé. Les deux pièces pourraient se jouer en continuité (c'est ce qui est arrivé, du reste). Pas cependant à la première : le 5 décembre 1931, les acteurs de «
Marius » étaient presque tous là, mais trois des rôles majeurs, Raimu, Pierre Fresnay et
Alida Rouffe, étaient absents : Raimu avait eu « des mots » avec le directeur du théâtre, Pierre Fresnay était retenu par d'autres engagements, et
Alida Rouffe (dont le rôle dans «
Fanny » était bien plus important que dans «
Marius », avait été victime d'un accident de chemin de fer. Ils furent respectivement remplacés par Harry Baur (un artiste de la taille de Raimu, aussi bien au théâtre qu'au cinéma), Antonin Berval, un jeune premier qui promettait beaucoup (mais qui tint peu par la suite) et Marguerite Chabert, comédienne et chanteuse marseillaise réputée. La pièce eut un beau succès (pas celui escompté, cependant) mais l'adaptation cinématographique l'année suivante, avec quasiment les mêmes interprètes que «
Marius » fit entrer "
Fanny" (avec «
Marius » et plus tard «
César ») dans l'éternité des chefs-d'oeuvre.
Souvenez-vous,
Marius est parti sur le « Malaisie » laissant
Fanny évanouie dans les bras de
César. le chagrin du départ se double d'une autre complication, et de taille : elle est enceinte (de
Marius, évidemment, pour qui la prenez-vous ?). Après les aveux douloureux, les colères (tout sauf rentrées) de la mère (de
Fanny) et du père (de
Marius), une solution semble se profiler : Panisse qui, rappelez-vous dans
Marius, avait demandé la main de
Fanny, se présente à nouveau. Non pas pour « sauver l'honneur » ce qu'il fait effectivement, ni pour « se payer une jeunette », avec un « enfant tout fait », mais par bonté d'âme et infinie tendresse, choses que peu à peu on découvre chez cet homme entier et colérique (assez semblable à
César, au fond).
Fanny s'y résigne et le mariage a lieu, le petit
Césariot voit le jour, et le temps aidant
Fanny accorde à son mari une réelle affection faite d'amour, de tendresse et de reconnaissance. Mais voilà que
Marius débarque, lassé des longs voyages (comme le pélican
De Musset), il apprend la vérité et « réclame son bien » : la mère et l'enfant. Il se fait vertement rappeler à l'ordre, non seulement par son père, mais également par
Fanny et Panisse. Pourtant la force des sentiments entre
Fanny et
Marius n'a pas changé. Mais
Marius, comprenant que par son attitude passée il n'a aucun droit ni sur
Fanny ni sur
Césariot, disparaît à nouveau.
«
Fanny » se situe dans la continuité de «
Marius » : c'est toujours une comédie (une tragi-comédie) psychologique, avec des moments forts, et des moments plus intimes, de grands passages comiques, et de sublimes scènes de tendresse, à vous mettre les larmes aux yeux : Cela tient à la situation des personnages, à l'intensité du jeu des acteurs, mais surtout à la justesse, à la vérité, à la puissance d'évocation d'un langage extraordinaire où l'auteur se révèle non seulement un grand écrivain, mais aussi un fin psychologue : « le dialogue nous révèle un des nombreux secrets de l'être humain. Dans cette entreprise de découverte de l'homme,
Pagnol est roi. Tout ce qu'il nous dit sur une scène ou dans un film concourt à nous révéler l'essentiel des êtres » (
Jean Renoir).
Il n'est pas besoin ici de conseiller la trilogie tournée par Korda-Allégret et
Pagnol. Il y a belle lurette qu'elle figure au panthéon de la cinémathèque idéale. Mais pour les amateurs d'insolite, il existe une version américaine sortie en 1961, réalisée par Joshua Logan : «
Fanny » réunit des acteurs français d'Hollywood :
Leslie Caron (
Fanny),
Charles Boyer (
César),
Maurice Chevalier (Panisse) et Georgette Anys (Honorine), la distribution étant complétée par Horst Bucholz (
Marius) et une pléiade d'acteurs français pour les seconds rôles. Pas un grand film, mais à coup sûr une curiosité.