Dictionnaire insolite du Sénégal

On voit depuis quelques années fleurir des dictionnaires sur les étals des libraires. Il ne s'agit pas d'encyclopédies, mais plutôt d'essais, sans structure linéaire, organisés sous la forme d'abécédaires. Les « dictionnaires amoureux » publiés chez Plon sont les plus connus : ceux que Dominique Fernandez a consacré à l'Italie ou Alain Duault à l'opéra sont devenus des best-sellers. Sur ce modèle la petite maison d'édition Cosmopole a lancé une collection de dictionnaires « insolites ». Elle a confié à Christophe Parayre le soin de rédiger l'opus consacré au Sénégal. le choix est pertinent. L'auteur a été non seulement un observateur avisé de la scène politique sénégalaise au cours des quatre années durant lesquelles il a dirigé le bureau régional de l'Agence France presse à Dakar. Mais cet amoureux de l'Afrique s'est pris de passion pour sa culture et son art de vivre, dévorant toute la littérature sénégalaise, écumant les galeries d'art, traquant derrière son appareil photo des instantanés décalés ….
C'est donc à un voyage kaléidoscopique au pays de la teranga (l'hospitalité, valeur cardinale) que Christophe Parayre nous invite. Un pays qui peut sembler moins exotique – et moins dangereux – que d'autres destinations subsahariennes plus lointaines. Un pays que les Français croient connaître, même s'ils n'y sont jamais allés ; car il renvoie l'image fallacieuse d'une Afrique coloniale, francophone et pacifique. Un pays qui toutefois fait mentir les idées préconçues si on fait l'effort de les dépasser.
Trois clichés circulent en France sur le Sénégal.
La figure de Léopold Sedar Senghor, éduqué au séminaire, catholique, marié à une Française, catholique elle aussi, laisse penser que le Sénégal a été profondément christianisé. Tel n'est pas le cas. le pays est composé à 95 % de Musulmans. L'Islam au Sénégal est mâtiné d'animisme comme en témoignent la présence des gris-gris, l'invocation des djinnés. Il est organisé autour de puissantes confréries : les Tidianes et surtout les Mourides dont la capitale, Touba, est un espace de non-droit, une théocratie de fait, dont l'exponentielle croissance démographique pourrait faire bientôt la ville la plus peuplée du pays.
Le Sénégal est un pays démocratique qui, à la différence de ses turbulents voisins, n'a jamais connu de coups d'Etat. C'est vrai. L'armée est républicaine et n'a jamais renversé le pouvoir civil. Mais le Sénégal ne constitue pas pour autant une démocratie parfaite. On oublie que Senghor, avant de quitter volontairement son fauteuil en 1980, avait dirigé un régime à parti unique (le pluripartisme n'a été instauré qu'en 1974). Abdoulaye Wade, l'opposant historique, a certes remporté les élections présidentielles de 2000, mais a rapidement déçu les espoirs qui avaient été placés en lui en modifiant la Constitution pour tenter de transmettre son pouvoir à son fils.
Le Sénégal est resté proche de la France. C'est en partie vrai. Les toubabs sont nombreux au Sénégal – notamment sur la Petite côte où ils viennent de plus en plus volontiers prendre leur retraite. Symétriquement, les Sénégalais de la diaspora sont nombreux à vivre en France (de Rama Yade à Omar Sy) même si c'est l'Italie qui compte la communauté la plus importante. Mais, si l'on mange volontiers la baguette et joue encore à la pétanque, l'usage du français se perd et l'influence de la France diminue. Rebutés par la difficulté d'obtenir un visa, les élites sénégalaises et leurs enfants se tournent vers d'autres partenaires : les États-Unis (Little Senegal est un quartier de New York en pleine expansion), le Canada, le Maroc, la Chine …
L'ouvrage de Christophe Parayre présente les avantages et les inconvénients d'un abécédaire. Ses quelque 180 courtes vignettes sont l'occasion d'un voyage distrayant et toujours instructif ; mais sa présentation nous frustre d'une lecture plus structurée qui reste à écrire.

Cette critique sera publiée dans le numéro 256 de la revue "Afrique contemporaine" de l'AFD