Une fois la bête enfuie, la tristesse demeure, elle s’accroche au regard. Aux habitudes quotidiennes. Elle m’imprègne comme une transpiration permanente, sensation désagréable d’être en marge de mes proches et de la vie en général.
Ce ne sont pas les épreuves qui comptent, mais ce qu'on en fait
Antidépresseurs, neuroleptiques et somnifères m’enfoncent dans un sommeil sans rêves. Parfois, au lever, tout revient comme un cauchemar. Bien sûr, ce pourrait être pire. Je pourrais être paralysé, me battre contre un cancer ou le Sida. C’est souvent ce que mes proches me rappellent. Autant m’enfoncer la tête sous l’eau. C’est oublier combien le dépressif culpabilise en permanence.
Tout et son contraire : on apprend dans les épreuves qu’on ne peut jamais être sûr de rien. Et que l’espoir est le seul moteur qui fait avancer.
À la nuit tombée, j’éteins une à une les lumières trop fortes qui m’éblouissent. J’observe les fenêtres d’en face. Ces hommes, ces femmes, à l’intérieur, qui se déplacent. J’envie leur vie sans la connaître. Je l’imagine forcément meilleure que la mienne.
Je laisse ses mots dépasser ma pensée. Sa colère est la mienne. Lui l’exprime, moi non. Il me défend bec et ongles, comme si je n’étais pas là. Toute cette scène me paraît surréaliste.
Je sais combien le regret, la jalousie, la colère, la vengeance, la mauvaise foi peuvent me retourner. Je n’imagine jamais que le monde puisse être foncièrement mauvais. Le mien est un miroir imaginaire où se reflète la bonté des gens que j’aime. Avoir de l’empathie, c’est voir l’autre comme il est et cesser de l’imaginer comme un personnage de roman.
L'écriture n'est pas une thérapie pour moi, elle est ma vie, en dehors des dépressions. Quand on aime autant la fiction que je l'aime, on en injecte dans sa vie pour la rendre moins cruelle. Dans L'Été des lucioles, je fais dire à Victor: «La vie sans magie, c’est juste la vie.» Dans Inventer les couleurs, Hippolyte dit: «Il faut inventer les couleurs là où elles n'existent pas.» Que serait en effet la vie sans magie et sans couleurs? Un établissement psychiatrique. p. 170
Il vient une heure où chacun doit affronter ses démons pour mieux s'en libérer. J'aime être un parmi tous. Un anonyme dans la foule. Un inconnu célèbre que personne ne reconnaît. Je me suis défendu contre la bête, pas question d'être dominé par elle. Entrez dans ma vie, comme on entre dans une danse.
"Vous avez des enfants ?
- Oui, mes livres."