Citations sur L'Étoffe du diable : Une histoire des rayures et des t.. (28)
Il est un dernier domaine qui contribue lui aussi à mettre en valeur le lien qui existe entre la rayure et la punition, l'exclusion ou la privation : le lexique. En français moderne, le verbe rayer a le double sens de faire des raies et de retrancher, supprimer, éliminer. Rayer un nom dans une liste, c'est faire un trait sur ce nom, et exclure la personne qui le porte de ce à quoi donne droit la liste. La même idée se retrouve dans le verbe corriger, qui signifie à la fois rayer et punir et qui, dans cette seconde acception, a donné naissance à l'expression maison de correction, lieu d'enfermement où les fenêtres ont des barreaux et les détenus - parfois - des vêtements rayés. Le verbe barrer, qui est souvent synonyme de rayer, souligne très justement comment les barreaux sont des rayures et les rayures, des barrières.
"Ce n'est pas une forme, comme le besant, l'étoile ou la rouelle, c'est une structure." (p. 29)
Le scandale éclate en France au milieu du XIIIe siècle . Très exactement à la fin de l'été 1254, lorsque saint louis rentre à paris après une croisade malheureuse, une captivité dramatique et un séjour en Terre sainte de quatre longues années. Le roi ne rentre pas seul . Il ramène avec lui un certain nombre de religieux nouveaux venus en France , et parmi eux quelques frères de l'ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel . C'est par eux que le scandale va se produire : ils portent un manteau rayé !
Comme souvent de nos jours, où tout code social est capable de s'inverser, où tout code, pour bien fonctionner, est même obligé de s'inverser, ce qui à l'origine constituait un handicap ou une infériorité finit par devenir une promotion.
Non seulement la rayure montre et cache à la fois, mais elle est tout ensemble la figure et le fond, le fini et l’infini, la partie et le tout.
La rayure n’est pas désordre ; elle est signe de désordre et moyen de remise en ordre. La rayure n’est pas exclusion ; elle est marque d’exclusion et tentative de réintégration.
« Peigner la girafe », n'est-ce pas mettre en ordre ses taches, tenter d'en faire un zèbre ?
Nombreux sont dans l’Occident médiéval les individus – réels ou imaginaires – que la société, la littérature ou l’iconographie dotent de vêtements rayés. Ce sont tous, à un titre ou à un autre, des exclus ou des réprouvés, depuis le juif et l’hérétique jusqu’au bouffon ou au jongleur, en passant non seulement par le lépreux, le bourreau ou la prostituée, mais aussi par le chevalier félon des romans de la Table ronde, par l’insensé du livre des Psaumes ou par le personnage de Judas. Tous dérangent ou pervertissent l’ordre établi ; tous ont plus ou moins à voir avec le Diable.
Nos pyjamas ne sont-ils pas rayés pour nous protéger pendant la nuit,lorsque nous reposons ,fragiles et dérisoires , de tous les mauvais rêves et des interventions du malin? Nos pyjamas rayés,nos draps rayés, ne sont-ils pas des grilles , des cages?Freud et ses épigones y ont-ils jamais pensé?
On notera ici avec intérêt l’équivalence presque grammaticale du rayé et du pastel au sein du système vestimentaire occidental entre la fin du XIXe siècle et celle du XXe […]